mercredi 12 décembre 2007

Sur la platine...



C'est peut-être la rigueur scandinave et les teintes austères de ce début d'hiver aux neiges abondantes. Ou c'est peut-être le plaisir sonore d'entendre une musique dynamique, vivante, qui dépasse par ses ambitions et son travail architectural le côté plus purement expressif du jazz et de la musique rock. Mais je me paye une diète abondante de classique ces jours-ci.

[C'est peut-être aussi parce que mes nouveaux câbles de hauts-parleurs en teflon et les interconnects que tomahawk m'a passé rendent les hautes fréquences des violons beaucoup plus fréquentables que mes vieux Monster Cables. Le plaisir de la musique est indissociable du plaisir du son]

Sur la platine hier, ce vieux mage finlandais de Rautavaara. Glissandos de violons éthérés, cloches tubulaires tintibulant, arpèges de piano qui cognent dans la conscience, choweurs éthérées, chants d'oiseaux migrateurs. La musique de Rautavaara (dur de se rappeler comment l'écrire) est parfois informe et insaisissable comme une vapeur trop rare. Mais ses concertos de piano ont une jubilation que ses autres pièces n'ont pas, et ses couleurs orchestrales, magnifiquement rendues dans les enregistrements Ondine de cette compilation, composent une palette harmonique riche, mouvante, souvent émouvante, qui vous plonge dans un monde étrange, peuplés d'anges dira Rautavaara, de daemons pourrait analyser Robertson Davies.
À la fois sensuel et désincarné, si ça s'peut!



Mais les tentatives de Rautavaara pour évoquer un monde spirituel et angélique font presque figure de romantisme ésotérique lorsqu'on pose Schubert sur la platine. Parce que Schubert, syphillitique, déjà en fin de course à 29 ans, était, vers la fin de sa vie, dans une autre dimension musicale et spirituelle. Je me suis remis à écouter, après presque 10 ans de hiatus, son dernier Quatuor, le 15e, en Sol Majeur. J'ai retrouvé, intacte, cette angoisse de l'âme, ce combat entre la sérénité et l'angoisse, entre la mélodie et la dissonance, entre l'élan et le rythme brisé. C'est surnaturel, inquiétant, et comme toujours avec Schubert, plein d'une grâce mélodique surnaturelle. Les deux premiers mouvements font partie de la plus extraordinaire musique, tout genre confondus, que j'aie jamais entendu.

La version que je possède, que je chéris profondément, enregistrée au début des années '80, est du Julliard String Quartet. J'ai lu quelque part que le Julliard était un ensemble qui donnait des couleurs contemporaines au répertoire classique et des couleurs classiques au répertoire contemporain. Parlant d'un enregistrement de ce même quatuor datant des années '50, un mélomane écrivait que Schubert n'avait jamais semblé plus près de Bartok que dans cette interprétation. Dommage que l'enregistrement des disques Columbia pose comme un voile plastique sur la sonorité du violon, parce que l'interprétation est extraordinairement riche et dynamique. J'hésite à en rechercher une autre, convaincu qu'une vision plus romantique de l'oeuvre en détruirait les dimensions spirituelles. Un disque à amener sur une île déserte.


En coda, un quatuor bref, angulaire, plein de détours, de ponctuations, d'air et de pointes; on dirait un dessin cubique à l'âme inquiète. 13 minutes de bonheur sonore, enregistrées de manière parfaite, avec Shostakovich, le Quatuor no 7, tel que joué par le St Petersburg String Quartet, que j'ai découvert par le biais du Quatuor Alcan, pour lesquels je faillis faire un clip de l'oeuvre. De penser que Shostakovich, comme tant d'autres artistes russes, poussait ses cris à travers le manteau noir de la censure... Il faudrait que je fréquente plus Shostakovich, mais c'est un compositeur qui demande toutes vos facultés d'écoute. Le vrai message est là, caché derrière un certain classicisme de la forme. L'inquiétude est bien celle du dernier siècle.