Parlant de Bill Evans récemment...
Il a été longtemps présenté comme l'héritier naturel de Bill Evans, particulièrement pour son travail au sein de son trio. Et sans doute pour le très émouvant album solo, Elegiac Cycle, qui a beaucoup fait pour sa popularité. On a aussi beaucoup parlé d'une parenté artistique avec Keith Jarrett, sans doute pour la fougue de son lyrisme. Mais aujourd'hui, nous ne pouvons plus parler ni de l'un ni de l'autre pour parler de son travail: Brad Mehldau est, dans sa jeune quarantaine, au sommet de son art, et le tout récent Live In Marciac en est, de nouveau, l’éclatante démonstration.
Deux CDs denses, mais surtout un DVD qui nous permettent une plongée visuelle sur l'incroyable virtuosité technique d'un pianiste qu'on a d'abord appris à aimer pour son lyrisme.
Live At Marciac - 2 CD + 1 DVD |
Au contraire d'un Keith Jarrett, qui démarre souvent d'une page complètement vierge et semble emporté par un mysticisme musical absolument magique, Mehldau évolue dans un monde architectural très solide.
Ce live est particulièrement intéressant, car Mehldau y revisite plusieurs des thèmes de son Elegiac Cycle, justement, sans aucune doute son disque le plus élégiaque (évidemment) et accessible; or, la relecture qu'il en fait est riche, complexe, puissante; le blueprint est devenu une architecture . Peu de ballades: une relecture de Secret Love (qui était à mon humble avis plus émouvante sur Progression, en trio) et un My Favorite Things, en rappel, très beau thème auquel il donne un traitement qui nous rappelle son Art Of The Trio 3, quand on découvrait encore ce jeune pianiste différent.
Elegiac Cycle (1999) |
Keith Jarrett aime railler le goût de Mehldau pour son utilisation de thèmes rock, lui qui a choisi depuis longtemps de se cantonner aux stardards de jazz. Encore une fois sur ce disque, Mehldau fait la belle part à des classiques "modernes": Radiohead, bien sûr (Exit Music), son groupe de prédilection, Nick Drake (Things Behind The Sun), Nirvana (Lithium) et les Beatles (Martha My Dear) ainsi qu'une relecture de Lilac Wine, qu'a fait connaître tour à tour Nina Simone et Jeff Buckley. La sensibilité de Drake, ce poète folk existentialiste si fragile, se marie toujours aussi bien à la sienne, mais on sent chez Mehldau une énergie rythmique nouvelle. Things Behind The Sun ouvrait son Live In Tokyo avec lyrisme; mais cette fois, il a trouvé dans la plage harmonique du morceau une sauvagerie insoupçonné; le martèlement de la main gauche évoque un Glenn Gould au swing agressif; et pourtant, plus loin, c'est la main droite qui amène le même thème vers de dimensions presque liquides. Lorsque sans s'arrêter il transite de Drake à Cobain et son Lithium, il crée entre deux des grands suicidés du rock une parenté musicale qu'on n'aurait jamais soupçonné.
Remarquable? Oui, plus que jamais. Agréable? Peut-être moins que par le passé. Une maturité nouvelle est entrée dans son jeu. Son travail en solo est le témoignage d'un pianiste qui, loin de tabler sur son succès passé, repousse toujours plus loin les limites de son expressionnisme. Moins élégiaque, plus viril; comme si sa sensibilité s'était imprégnée d'angoisses métaphysiques plus graves. Plus Beethoven que Chopin. Plus Hammerklavier que Clair de lune.
Disque qui, je le soupçonne, sera inépuisable.
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