lundi 4 juillet 2011

Charles Lloyd... intense, spirituel, lyrique


Je suis tellement impressionné par cet album...

72 minutes d'un voyage dans ce que le jazz offre de mieux: la communion sensible, à la fois pleine de force spirituelle, de lyrisme musicale, de blues intime, entre quatre musiciens en conversation modale... Leur entente doit être totale, leur confiance réciproque au plus haut point.

Dans un sens, ce quatuor me rappelle celui de Wayne Shorter, avec Danilo Perez et l'extraodinaire Brian Blade, qui nous avaient visité au Festival de Jazz il y a quelques années. Vous avez le vieux sage, la légende vivante qui porte en lui l'héritage immense du jazz des cinquante dernières années; et vous avez les jeunes loups qui prêtent la force de leur jeunesse, et je dirais la force de leur humilité, dans un dialogue intergénérationnel passionnant.


Mais je dirais que ce quatuor-ci est peut-être encore plus émouvant: alors que Wayne Shorter s'appuyait sur scène énormément sur le dynamique Perez, et que ses solos ont la concision de celui qui n'a plus de forces à gaspiller, on a l'impression, à l'écoute de ce magnifique opus ECM, que Charles Lloyd, à 73 ans, a la force tranquille du volcan (à peine) assagi. Et le duo qu'il forme avec le pianiste Jason Moran est béni des dieux. Leur communion semble d'une facilité déconcertante, leurs forces en équilibre; le lyrisme un peu sec de l'alto idéalement complété par cette sorte d'impressionnisme swingant que Moran dégage à chaque solo.



Ma découvert de Lloyd est récente: sa version de Ne me quitte pas (de Brel, bien sûr), sur son Jumping The Creek de 2005 (avec entre autres la pianiste Geri Allen) est ce genre de morceau dont la beauté est absolument impossible à esquiver; une pièce d'anthologie. Un petit survol de sa bio sur Wikipedia révèle une longue feuille de route parsemée de longues disparitions; on constate avec surprise qu'il fut leader d'un quatuor-phare chez Atlantic, dans les années '60, avec un tout jeune Keith Jarrett au piano, et Jack DeJohnette à la batterie. Mais alors que ses équipiers connaîtront fortune et gloire chez ECM dans les années '70, Lloyd disparaît de la scène jazz, se contentant de faire partie d'un groupe-hommage aux Beach Boys et s'adonnant à la médiation transcendentale!


Dream Weaver, 1966, avec Keith Jarrett
Ah, les années '70 furent bien cruelles pour moultes jazzmen.

Sa résurrection s'entame en 1989, chez ECM justement, et il faut saluer cet autre coup de génie de Manfred Eicher, le gourou allemand du jazz contemporain. Près de 15 albums en 20 ans suivront, et son aura qui ne cesse de grandir.

Et arrive ce sublime Mirror.

Dès le deuxième morceau, une relecture sublimement minimaliste et profonde du gospel Go Down Moses, nous comprenons que le voyage dans l'âme de ce vieil homme sera empreinte de cette qualité presque spirituelle que le jazz sait si bien rendre (et que son ancien partenaire Keith Jarrett sait communiquer au plus haut point). Rien de factice, de facile ou de mondain dans ces lectures à la fois tendues, généreuses et lyriques. Rien du sentimentalisme easy-jazz tant à la mode non plus. Teintes ocres ou sépia, reflets hautement contrastés; il y a une densité dans l'expression qu'on pourrait rater par une écoute inattentive. Car enfin, ce disque est presque uniquement composé de ballades et avouons qu'à ce jeu, l'alto et sa sonorité un peu pincée font un drôle d'effet. Mais écoutez la musicalité exceptionnelle de La Llhorona (oui, oui, le même morceau arrangé par Llhasa), la sonorité presque orientale du cuivre, la force impressionniste du soli de Moran. Fermez les yeux, imaginez la performance "live": impossible de rater la communion profonde des deux musiciens, et le côté voluptueux de la rythmique. Évidemment,  on a aussi droit à un son exceptionnel. Bravo à l'ingénieur Dominic Camardella, inconnu au bataillon, et à l'ingénieur au mastering, le bien connu et respecté Bernie Grundman. ECM maintient ses standards exceptionels.

On a l'habitude des reprises de Thelenious Monk dans le jazz, ça en devient presque lassant, avouons-le, et j'étais tout à fait prêt à "skipper" Monk's Mood et Ruby, My Dear, deux titres archi-connus de "Sphere", de ma liste de lecture. J'aurais eu tort. Ruby, My Dear, en particulier, m'a impressionné. Comment peut-on extirper des idées neuves de ce titre mille fois joué, je l'ignore; ça à certainement à voir avec la manière dont Moran réussit à souligner le lyrisme profond des conceptions angulaires du regretté prêtre du be-bop.

Bref... Réussite totale, quant à moi. Un disque qui a tout ce qu'on peut demander d'un disque de jazz. Voyage merveilleux que je vous recommande absolument. Si vous accordez à ce disque l'attention qu'il mérite, il vous le rendra.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire