vendredi 23 janvier 2009

Sur la platine: Duke Ellington & les big bands


Est-ce un plaisir coupable? Lorsque j'ai essayé de faire partager à ma douce moitié mon enthousiasme pour la New Orleans Suite de Duke Ellington, un disque mélanco, puissant et crépusculaire dont l'enregistrement s'est terminé deux jours APRÈS la mort du soliste le plus connu du Duke Ellington Orchestra (Johnny Hodges), j'ai eu droit à un regard de presque pitié, un peu comme si j'écoutais en boucle vingt variations big band et bavaroises du thème de la Soirée du hockey. Peut-être le son big band est-il un peu trop lié au Royal XXIIe régiment et aux parades militaires de nos enfances. Peut-être suis-je après tout pas mal ringard. Mais quand une bande de vieux virtuoses se mettent à swinger avec cette espèce d'énergie folle qui leur est propre, quand ils se renvoient la balle mélodique et rythmique sur les thèmes mélodiques et bluesés dessinés par le Duke et son alter ego Billy Strayhorn, je leur envie leur redoutable santé mentale et physique. J'espère ne pas être un vieux décrépit plus tard. J'espère être un vieux Noir dans un band swing.



C'est probablement par le film de Coppola The Cotton Club que j'ai découvert le swing et les big bands. Et Diana Rigg, future mme Christophe Lambert, mais ça c'est une autre histoire. Justement, la musique de Ellington propulsait les scènes, quand ce n'était pas l'énergie folle de Cab Calloway. Impossible de ne pas être renversé par cette musique joyeuse, bordélique et puissante. Après, vous regardez des shoegazers et des amateurs du Velvet Underground, et vous avez pitié, et vous appelez l'ambulance pour qu'on leur fasse une transfusion.

Longue intro pour arriver à ce disque: The Far East Suite, qui a "fait" ma soirée. C'était quatre ans avant le New Orleans Suite, le band accueillait un dynamique nouveau batteur (Speedy Jones) et le Duke et Strayhorn désiraient composer une suite en souvenir d'une tournée du groupe organisée par le Département d'État, au Moyen-Orient. C'était en 1963. Et on découvre, avec surprise et en soupirant un peu que c'était une époque où le plus célèbre big band américain pouvait se produire en Perse (Iran), en Syrie, en Irak, au Liban. Mais c'était une autre époque, non? Après tout, Kennedy était président. Et n'embellissons pas trop le passé. le groupe dut quitter Bagdad en toute hâte; un coup d'état venait d'éclater.





En tout cas, la musique est somptueuse. La ballade Isfahan (reprise par Joe Henderson sur son magnifique Lush Life) est un écrin parfait pour l'alto de Johnny Hodges; Mount Harissa, en hommage à une montagne du Liban, est pour moi la quintessence de ce que j'aime dans le Duke tardif: le swing incessant, la mélodie salée de blues du piano et les cuivres rutilants. Blues Pepper est une explosion de puissance qui rappelle la New Orleans Suite; c'est peut-être le genre de titres que les femmes trouvent ringards, je sais pas, moi je tape du pied et je me prend pour un trompettiste d'enfer. Quant aux 11 minutes de Ad Lib On Nippon (la tournée reprit au Japon l'année suivante), c'est une splendide compo impressionniste qui laisse le gros de l'espace au piano et à la contrebasse, fermant l'album sur une note méditative.

Malheureusement, la tournée fut interrompue par une tragédie qui nous pousuit toujours: l'assasinat de Kennedy. Il est peut-être de mise de réécouter ce CD, maintenant que Obama vient ranimer les braises froides de l'optimisme et que le Moyen-Orient ne cesse de s'embraser...
Et vous savez quoi: PLAY IT LOUD. C'est pensé pour être joué fort. Très fort.


(En guise de coda, et tant qu'à être big band, j'ai mis un disque qui ramassait la poussière: le Coming About du Maria Schneider Jazz Orchestra. Enregistrement digital de 1995, mixé et masteré par une équipe qui fait de splendides choses au niveau sonique (Masada vol. 5, Bug Music de Don Byron). Il faudra ABSOLUMENT que je revienne sur ce disque. Parce que en deux pièces et vingt minutes, j'étais happé par ce magnifique truc: un orchestre de jazz, aux coloris splendides comme des orchestrations de Ravel, et avec en prime l'excitation de solistes inspirés, le tout capturé parfaitement. Vraiment, un début splendide pour un disque qui, à l'époque, avait toppé les polls de jazz, section big bands. Je comprends mieux pourquoi. Les papys ont laissé des héritiers: à 35 ans, Maria Schneider, ex-assistante de Gil Evans, renouvelle le genre. J'y reviendrai.)

Sur la platine: Cannonball Adderley & Miles Davis - Something Else


Est-ce que musique peut être meilleure que celle qui se trouve sur cette galette? Si vous commencez votre exploration du jazz et que vous venez d'épuiser temporairement les joies de votre copie de Kind of Blue et que vous cherchez des riffs frais, ce disque est INDISPENSABLE et complètement jouissif. En plus, c'est un cousin par la fesse gauche, d'un an son aîné, de l'historique session du Miles Davis Quintet, alors que se retrouvent le temps de six titres Davis et son saxo alto Julian Cannonball Adderley, qui est d'ailleurs crédité de leader sur cette session. Nonobstant du crédit, qui est probablement une question contractuelle, tous les amateurs de Davis, de son phrasé de porcelaine, de ses arrangements cool jazz goûteront chaque minute de ces interprétations, qui sonnent tout à fait comme du vintage Miles Davis.

Bon, peut-être Hank Jones n'a pas, au piano, cette intemporalité poétique de Bill Evans sur Kind of Blue mais la présence de Art Blakey, à la batterie, assure un swing chaud et chaleureux. Quant à Adderley et Davis, ils sont la braise et l'éclair; leur jeu est si complémentaire que Coltrane ne nous manque pas; sa passion presque mystique aurait dépareillé sur ces arrangements qui ont quelque chose d'indéniablement chaud, grâce peut-être au tempérament généreux de Cannonball.



Les grands moments ne manquent pas: l'arrangement des "Feuilles d'automne", le solo de Cannonball sur "Love For Sale", le très expressif solo de Miles Davis sur One For Daddy-O, ou le jeu à l'unisson de Davis et Adderley sur Alison's Uncle (qui m'a rappelé par son côté coulant Gerry Mulligan et Chet Baker dévalant des arpèges). L'enregistrement est de l'omnipérsent Van Gelder.

Tiens, et si vous voulez une expérience audiophile (et connaître les vertus d'un bon mastering): placez-vous en "close field listening" et obtenez une copie de l'édition Mobile Fidelity: après avoir goûté le plaisir d'une prestation "live", à quelques pas de vous, changez pour l'édition "normale" de Blue Note, de Ron McMaster, très facile à trouver, et repassez la dernière piste. On se gratte la tête en constatant que soudainement: la scène des musiciens a rapetissé de quelques pieds de largeur, Davis et Adderley ont reculé de quelques pas, et tout le monde joue derrière une sorte de voile. Pas que ce soit, en soi, une mauvaise version; mais après la version Mofi, impossible de revenir à l'arrière. Trouver un bon mastering demeure le "upgrade" le moins coûteux que l'on puise faire au son (après avoir trouvé le "sweet spot", bien sûr).

samedi 10 janvier 2009

Sur la platine...

Un fil de discussion intéressant à SteveHoffman.tv: nommez vos cinq albums préférés d'artistes féminins.
Le nom qui revient le plus souvent: notre très grande Joni Mitchell.


Plus surprenant peut-être, son album le plus cité: le très raffiné et subtil Hejira, une perle noire aux confluents du jazz et de la chanson folk, animés par la guitare de Larry Carlton et la contrebasse de Jaco Pastorius, sorti en novembre 1976, souvent considéré comme son dernier grand album avant que sa fascination pour des formes plus extrêmes de jazz ne l'éloignent de ses racines (Mingus). À la tombée de la nuit, des titres sophistiqués, d'une grande richesse lyrique, comme Amelia et Black Crow vous amènent dans des paysages sonores et psychologiques fascinants, comme une bonne nouvelle dégustée dans l'intimité d'une nuit bien noire et insomniaque. Goutez le raffinement des arrangements soutenus. Cette femme avait une conception très avancée de la chanson, amorcée avec le superbe Court and Spark qui avait amorcé sa lente transition vers le jazz. Superbe!



Quant à la question posée au départ... voici mes choix bien personnels...

Mes cinq albums préférés d'artistes féminins

Cassandra Wilson - New Moon Daughter
Un disque d'une perfection rare, éclectique, habité, le classique instantané d'une chanteuse jazz qui sait, mieux que personne, réunir sous l'idiome toutes les musiques du monde: jazz, blues, pop, folk, country... Avec des interprétations définitives de Love Is Blindness (U2), Harvest Moon (Neil Young), I'm So Lonesome I Could Cry (Hank Williams) et même The Last Train To Clarksville (The Monkees)


Kate Bush - The Dreaming
À un certain moment, dans les années '80, Kate Bush représentait la quintessence du Art-Rock, un petit cran au-dessus de son acolyte Peter Gabriel, et cet album, son plus aventureux, est une inépuisable aventure sonore.



Björk - Debut
Les années '90 appartiennent à Björk, la chanteuse flyée des Sugarcubes qui, en s'émancipant de son groupe, est devenue le plus bel albatros de la musique électro-pop. Et cet album, son premier véritable album solo, est peut-être son plus rafraîchissant, son plus "simple" (en autant que Björk puisse être simple), celui qui propose les titres les plus immédiatement accrocheurs et sensuels. La finale, The Anchor Song, superbe hymne à son Islande, voix et cuivres, la consacre sirène d'une époque qui en a bien besoin.



Beth Gibbons & Rustin Man - Out of Season
Beth Gibbons, de Portishead, est probablement la plus grande tragédienne du monde électro-pop-rock; et cet album en duo avec l'ex-bassiste de Talk Talk est une succession de moments d'une beauté mélancolique inoubliable.


K.D Lang - Ingenue
K.D. Lang, cette drôle de bibitte de l'ouest canadien, a été gratifié du plus bel organe vocal de la planète, quoi qu'en disent René-Charles et René; et sur cet album tout simplement parfait, elle l'a enrobé d'arrangements folk magnifiques, sur des chansons d'une beauté déchirante. Un grand moment de musique.


Mais je ne peux pas ne pas mentionner quelques autres disques que je trouve tout simplement géants... et j'y reviendrai sûrement un jour...

Fiona Apple - When The Pawn...
Joni Mitchell - Court and Spark
Annette Peacock - X-Dreams
Sarah McLachhlin - Fumblin' Towards Ecstasy
Sade - Promise

dimanche 4 janvier 2009

Sur la platine

C'est fou ce que des micro-ajustements peuvent aider. Ce soir, j'ai repositionné mes enceintes en les écartant quelque peu, je me suis assuré de m'asseoir au tiers de la longueur et j'ai ajusté le niveau de mes stands de hp, et bon sang tous les instruments ont gagné en densité.
Puis je me suis assis pour une bonne session d'écoute.

D'abord, un petit chef d'oeuvre méconnu de jazz progressif (?) du Pierre Moerlen's Gong, Time Is The Key. J'ai écouté, comme d'habitude, la 1ère moitié du disque, une suite magique qui fait près de 20 minutes et qui met surtout en vedette vibraphones, xylophones, tymbales, cloches tubulaires, un tourbillon percussifs très colorés avec une basse bien juteuse et une batterie bien ronde pour soutenir le tout. Pierre Moerlen a été percussionniste avec Mike Oldfield par après, et il y a par moments une parenté d'esprit qui s'entend.



J'ai migré vers un truc très spécial. Les plus vieux se rappelleront le Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin (guitariste de Miles Davis sur Bitches Brew). Mais cet album moins connu présente entre autres une pièce ahurissante de 14 minutes, Vision is A Naked Sword, qui est inoubliable: appelons ça du jazz-rock symphonique apocalyptique. C'est très chargé, dramatique et enlevant, et outre un solo tout en tension retenue de McLaughlin, il y a aussi un solo déchaîné et ma foi assez formidable du virtuose aujourd'hui pas mal oublié Jean-Luc Ponty (violon électrique!). Il y aussi l'excellent batteur Narada Michael Walden, Michael Tilson Thomas à la direction d'orchestre et un certain George Martin à la production. Beaucoup de talent au kilomètre carré et ça s'entend.



Et pour finir, deux morceaux du Lush Life de Coltrane. Si je ne m'abuse, Coltrane avait été chassé du quintette de Miles Davis à cause de ses problèmes d'héroïne, et il s'était mis à travailler son jeu plus de 20 heures par jour, pour chasser ses démons. Il était en train de trouver sa voix, comme en témoigne un blues en trio appelé Trane's Slow Blues. C'est suivi de Lush Life en quintette, avec un magnifique solo de Donald Byrd à la trompette, qui suit un autre solo magnifique de Red Garland au piano. Et évidemment, Coltrane, en ballade, est insurpassable. Jamais sirupeux, toujours intense. Et en plus, c'est un enregistrmeent mono de Rudy van Gelder. Remasteré par Steve Hoffman, c'est la totale!