lundi 26 février 2007

Forest Whitaker oscarisé!

Normalement, ce blogue, je me le réserve pour la musique. Surtout, je n'y parle jamais de cinéma ou de télévision. Je vais faire une exception, en ce lendemain d'Oscars.




Forest Whitaker est mon acteur préféré. J'ignore totalement pourquoi. Je l'ai même assez peu vu. J'avais été ébloui par son jeu dans "Bird" de Clint Eastwood, où il interprétait Charlie Parker. C'était à une époque où le racisme des Oscars était patent, et il n'avait même pas eu droit à une nomination. Mais c'est dans Ghost Dog, le film offbeat de Jim Jarmusch, sur un tueur samouraï avec un code d'honneur dans les rues de New York, vivant saur un toit au milieu de ses sabres et de ses pigeons, que toute la densité humaniste de son jeu m'avait pris l'âme. Forest Whitaker, avec son visage ravagé de presque Christ noir des rues de LA, sa bouille formidable qui semble avoir traversé toutes les strates de la misère humaine et en être sorti en arrondissant les épaules et en fermant (presque) un oeil, qui semble vivre sur un beat intérieur, et qui transporte chaque scène où il apparaît sur ses épaules comme une bête de somme, Forest Whitaker est mon héros sur pellicule. Chaque fois que j'entends Samurai Showdown, de la bande sonore, je revois l'étrange ballet de Whitaker, avec son sabre, sur les toits new-yorkais, force têtue et solitaire. Je m'arrête...

Alors de le voir aller chercher l'Oscar du meilleur acteur, contre toute attente, m'a fait chaud au coeur. Et son speech de remerciements était, de loin, le plus senti.

Le voici...
Thank you. Thank you. Just a second, just a second. OK. Take it. OK. I wrote something down, because I thought if it would happen that I would be a little overwhelmed and I am. So, OK. When I was a kid, the only way that I saw movies was from the backseat of my family's car. At the drive-in. And, it wasn't my reality to think I would be acting in movies, so receiving this honor tonight tells me that it's possible. It is possible for a kid from east Texas, raised in South Central L.A. in Carson, who believes in his dreams, commits himself to them with his heart, to touch them, and to have them happen.

Because when I first started acting, it was because of my desire to connect to everyone. To that thing inside each of us. That light that I believe exists in all of us. Because acting for me is about believing in that connection and it's a connection so strong, it's a connection so deep, that we feel it. And through our combined belief, we can create a new reality. So I want to thank my fellow believers in The Last King of Scotland. I want to thank Peter, Jeremy, Andrea, Lisa, Charles, Kevin, James McAvoy, Kerry, Stephen, Fox, DNA, Channel Four. I want to thank the people of Uganda, who helped this film have a spirit. And finally, I want to thank my mom and my dad. I want to thank my wife Keisha, my children, my ancestors, who continue to guide my steps. And God, God who believes in us all. And who's given me this moment, in this lifetime, that I will hopefully carry to the end of my lifetime into the next lifetime. Thank you.


mercredi 7 février 2007

The Last Waltz... les dernières notes d'un grand trio


... ou le jazz en combustion lente...

En cette soirée glaciale de février, je me suis fait un plaisir rare: j'ai remonté dans le temps et je suis descendu au sous-sol du Village Vanguard de New York, un certain dimanche, le dimanche 25 juin 1961.

C'était, évidemment, une toute autre époque, une époque que je n'ai pas eu le bonheur de connaître, une époque où la musique n'était pas encore la machine à imprimer des dollars qu'elle est devenue.

À cette époque, il était possible à un trio comme celui de Bill Evans d'exister.

Le 25 juin 1961 était une journée heureuse pour le pianiste Bill Evans, le bassiste Scott La Faro et le batteur Paul Motian. Ils terminaient cette journée-là un engagement de deux semaines au célèbre Village Vanguard de New York, Peut-être n'avaient-ils jamais si bien joué ensemble. Leur manière de concevoir le trio, avec ce rôle si prédominant pour le contrebassiste, qui n'était plus tenu en laisse par l'obligation de tenir la rythmique, mais pouvait lui aussi s'exprimer à travers un vaste vocabulaire musical, leur permettait d'atteindre une plénitude sonore inédite à ce jour; leur son était poétique, soudé, avec de prodigieux moments de presque silence. L'écouter, c'était se laisser hypnotiser par la magie de ce pianiste junkie qui semblait avoir des visions, mais aussi par la prodigieuse splendeur de la contrebasse, sur un fond sonore brossé par le roulement doux des balais de Paul Motian. On a souvent dit de leur son qu'il était impressionniste. Mais c'est un impressionnisme dense, près du sfumato de Leonard de Vinci.

Et cet après-midi là, leur producteur, Orin Keepnews, débarquait au Vanguard avec ses Ampex. Il allait les enregistrer, à travers leurs cinq sets, de l'après-midi et du soir.

C'est ce cadeau que je me suis fait ce soir. Écouter, en séquence, ce que Keepnews a capté ce jour-là. Au milieu des tintements des verres, des éclats de rires et des conversations, le trio est entré en combustion lente. Commençant par le Gloria's Step de La Faro, et se terminant magiquement par cette mélodie en forme de "calligraphie choinoise" appelée "Jade Visions", toujours du prodigieux La Faro, chaque morceau évoque un trio arrivé précocement au sommet de son art. Prodigieux d'écoute et de cohésion sur les "Solar" et "Milestones" de Miles Davis; émouvant de simplicité sur "Porgy"; majestueux sur "My Man's Gone Now".

Dix jours plus tard, la voiture de Scott La Farro aboutissait dans un arbre, tuant instantanément le jeune prodige et mettant fin au Bill Evans Trio.

Dans la même année, derniers témoignages de ce parfait après-midi au Village Vanguard, deux albums live étaient édités: "Sunday At The Village Vanguard" et "Waltz for Debby". Le premier présentait, par choix de Bill Evans, des pièces qui mettaient particulièrement en valeur le talent de La Faro. Le second est tout aussi magnifique. Indispensables tous deux!

Sunday At The Village Vanguard
Gloria's Step / My Man's Gone Now / Solar / Alice In Wonderland / All Of You / Jade Visions (+ prises alternatives).
Waltz for Debby
My Foolish Heart / Waltz For Debby / Detour Ahead / My Romance / Some Other Time / Milestones / Porgy (I Loves You, Porgy)
(+ prises alternatives).

Sur double vinyle 45-tours 180 g, Analogue Productions. Mastering: Steve Hoffman 50$US (épuisé).
Sir vinyle 33 tours 180g, Analogue Productions. 20$US
Sur disque SACD hybride stéréo, Analogie productions. 25$US
Sur disque compact XRCD, JVC.
Sur disque compact ordinaire, Riverside.
The Complete Village Vanguard Recordings, 1961
Coffret triple, remastering K2

samedi 3 février 2007

Bill Frisell et ses miniatures


Journée de grippe... Journée pour enfiler de la laine, s'écraser dans un sofa, fermer les lumières...

En bande sonore, un régal auquel je ne reviens pas très souvent, peut-être parce que c'est un disque très simple, en mode mineur, un trio guitare-basse-batterie où la qualité d'écoute est essentielle, parce que tout se passe de manière nuancée, dans les demi-tons, dans la qualité d'exécution, l'interaction entre trois musiciens d'exception et la subtilité de compositions évocatrices, de vignettes sonores arrachées au tumulte habituel du monde pop d'aujourd'hui.

Bill Frisell est un guitariste exceptionnel, dont la sonorité hantée nappe d'une couche de brumes désertiques les chansons qu'il touche. Lorsque Marianne Faithfull a endossé le rôle de la chanteuse maudite à la voix rauque sur Strange Weather, c'est autant sa voix brisée et le choix des pièces que les textures sombres de Bill Frisell qui ont fait l'album.

Ses albums solos nous révèlent pourtant un artiste à l'univers plus large, aux ambitions à la fois plus modestes et plus sympathiques. Gone, Like A Train, c'est 15 vignettes qui semblent arrachés d'un roman sur le Midwest américain, ou 15 pages de Faulkner. Sa guitare, qui a souvent un son proche de la steel guitar (mais une steel cinématographique, avec du gros grain) est à la fois super-mélodique et super-sinueuse. Elle ouvre un thème, s'en sépare, s'égare, s'énerve, prend du coffre, se remplit de pleins de sous-textes parallèles, devient orageuses, puis revient couler, claire comme une eau de source sur la roche dure.

L'accompagnant sur cet album, une section rythmique d'enfer: le batteur Jim Keltner est apparu sur des centaines d'albums lors de sa longue carrière. Il joue son rôle merveilleusement bien, assoyant les longs glissements de Frisell sur une assise hyper-charpentée, dialoguant parfois, puis le poussant en avant, dans le spotlight, en assurant ses arrières: on dirait le grand frère protégeant le petit frère nerd et génial et le poussant à se dépasser. La basse de Victor Krauss est à l'avenant, parfois archi-mélodique, comme sur la merveilleusement poétique The Wife and Kid.

Un disque qui est un univers. Riche comme un roman. Et, ce qui ne gâche rien, merveilleusement bien enregistré.