vendredi 17 novembre 2006

Steve Hackett: voyage d'un acolyte

Ah, les versions remasterées! Tant d'albums ont été massacrés au moment de leur passage à l'âge digital. Le vinyle noir est peut-être mort, mais il n'est toujours pas oublié. Et si on a abandonné avec plaisir le craquement de l'aiguille dans le sillon, les bruits de fond et pétarades qui peu à peu venaient saboter nos disques, on n'a pas oublié ni le plaisir sensuel de la pochette 12 pouces, ni un "feeling" sonore que je vais qualifier, à mon grand dam (je déteste ce mot), d'organique.

Je viens tous juste de me racheter un "remaster". Et ce disque, que j'avais délaissé à cause de la désespérante version CD ultra-compressé et sans relief, a soudainement retrouvé toute sa verve, sa beauté tonale, sa dynamique sonore. C'est le premier disque solo de Steve Hackett, un petit bijou oublié de musique progressive, "Voyage of the Acolyte".

À mes oreilles profanes, deux moments musicaux constituent les climax de la musique progressive des années soixante-dix; et ces deux moments appartiennent au même protagoniste: un barbu à grosses lunettes qui jouait assis, presque dans l'obscurité. Steve Hackett ne sera plus, un jour, qu'une note de bas de page de l'encyclopédie de la musique pop. Il n'était, au sein de Genesis, que le 5e larron, l'acolyte embarqué tardivement dans le voyage, en remplacement du regretté Anthony Phillips, le peintre impressionniste qui venait colorer de la touche inimitable de sa Gibson le paysage sonore des pièces portées par Gabriel, Banks et les autres. sa carrière solo est intéressante, mais anecdotique.

Mais aussi insulaire qu'ait été Hackett au sein du groupe, se plaignant de la faible utilisation de ses compos et vivant en état de tension permanente face à Tony Banks, sa touche musicale aura marqué de manière indélébile le monde musical de Genesis et de ses fans. Et jamais autant que dans son solo stratosphérique de "Firth of Fifth", un moment de grâce musicale incomparable, un 150 secondes de pure feeling, bâti sur quelques notes en suspension sur une assise rythmique admirable, bâtie par Collins et Rutherford, une échappée instrumentale trop courte et qu'on ne se lasse pas de réentendre, et que Hackett joue encore aujourd'hui avec feeling et feu (prestation récente).

Et l'autre moment mémorable?

Évidemment, c'est "Shadow of the Hierophant", qui clôt son 1er solo, Voyage of the Acolyte. Onze minutes d'un voyage sonore délirant dans une carte de tarot, à commencer par un élégiaque six-minutes en compagnie de la voix angélique de Sally Oldfield; puis, un long fade-in, quatre minutes introduites par un petit vibraphone fragile et craquant, relayé bientôt par nappes par dessus nappes de guitares électriques, propulsées par les roulements percussifs déchaînés de Phil Collins (qui nous rappelle qu'avant de devenir un chanteur pop, il était un batteur prog de feu), avec en pulsations sous-jacentes des notes prolongées de la basse de Rutherford, un long fade-in qui culmine dans trois notes de cloches tubulaires auxquels répond un lancinant cri de guitare... avant un fade-out d'une pleine minute. Un truc vraiment unique, une peinture abstraite en sons, parfaitement mixé (Hackett déclarait avoir pour la 1ère fois découvert la table de mixage pour cet album) et que, semble-t-il, Genesis avait refusé d'inclure dans un de ses albums. Leur perte, le gain de Hackett, qui lança sa carrière solo peu après, pour ne plus revenir en arrière.

Et c'est ce truc incroyable que la version CD originale sabotait allègrement: sans dynamique, ni détails et avec une utilisation très limitée de la stéréophonie, un vrai désastre qui nous laissait froid, vaguement ennuyé.

Jusqu'à la version remasterée. Et on retrouve ce frisson unique de 1976, le crescendo est presque insoutenable, le climax laisse pantois. Tout l'album, d'ailleurs bénéficie du traitement: les vents ont retrouvé toute leur verdeur, le violoncelle n'est plus synthétique, et les dynamiques sonores, si importantes dans cet album, sont enfin rendues avec justice.

Le reste de l'album est d'ailleurs fort intéressant, particulièrement le trio Hands of the Priestess (part 1)/A Tower Struck Down/Hands of the Priestess (part 2): deux interludes élégiaques encadrant une sorte de voyage au don d'un abîme rythmique. Dur à décrire, mais très très intéressant à écouter. Passons sur le premier solo vocal vraiment sérieux de Phil Collins, qui devait prendre la relève de Peter Gabriel chez Genesis quelques mois plus tard. Le remaster Voyage of the Acolyte vaut son pesant d'or. En plus, deux bonus intéressants: une version live de Ace of Wands, moins froide et mécanique que la version studio, et une version de travail de Shadow of the Hierophant, beaucoup plus longue (17 minutes!), et où le crescendo est amené non pas par un jeu de volume à la console de mixage mais par les furieuses accélérations de Phil Collins avec la batterie, qui porte le morceau. Des différences dans le mixage rendent cette version moins réussie, et portant moins d'impact, que l'original, mais ça demeure un très beau moment musical.

Garrochez votre vieille version redbook dans les vidanges (ou échangez-la, encore mieux). Le CD a beaucoup à donner lorsque bien utilisé, comme le prouve ce remaster. En attendant que je me procure les sauvetages du même acabit des albums des Talking heads et de Talk Talk, et en espérant que les Smiths auront droit à un traitement similaire!

jeudi 2 novembre 2006

Premières notes.




Nous vivons une époque formidable.

Jamais la musique n'aura-t-elle autant voyagé qu'aujourd'hui. Jamais il n'a été aussi facile d'explorer cette planète foissonnante, ce témoignage sans langage ni barrière de l'expérience humaine. La musique est partout; parfois détournée de ses intentions premières et partie prenante de l'orgie commerciale; mais malgré tout toujours plus riche de ceux qui la font, de ceux qui l'écoutent, de ceux qui dansent à son appel (un instinct si fort qu'il saisit les enfants avant même leurs premiers pas).

La musique se décline dans une infinité de langages sonores; elle peut se glisser autour de vous comme un vêtement léger qui ne sert qu'à rythmer vos pas et votre quotidien; elle peut servir de toiles de fond aux grands moments de la vie; elle peut être une expérience d'altération des sens ou d'approfondissement de notre compréhension des règles du monde; elle peut nous élever spirituellement ou simplement apporter un peu de chaleur un soir de froidure.


Mais c'est surtout par son témoignage infiniment fragile et émouvant de notre vie qu'elle est indispensable. Trois minutes de musique peuvent devenir entre les mains d'un grand artisan un témoignage impérissable; le souvenir magnifié d'un amour; le parfum sonore d'un voyage; l'inspiration d'un élan.



Un "blog" musical, pourquoi? Simplement pour le plaisir de partager une passion, de la mettre en mots et de remercier ceux qui la font.

Assez philosophé. Place à la musique. Quelles sont les musiques les plus susceptibles de faire tripper le scribe de ces lignes? Quels artistes?

Comme tant d'autres mélomanes qui ont grandi dans les années '70, j'aime la chaleur des sons analogiques de cette époque. Et comme tant d'autres ados de Québec, Genesis, le Genesis des années Gabriel, a ouvert mon imagination comme aucun autre.


Mais la planète musicale est vaste et les années '80 ont donné un coup de pied salutaire aux mélomanes plongés dans les méandres philosophico-mochetons des groupes prog vieillissants. Après l'explosion neutronique du punk, le champ était libre et les oreilles débouchées. Sono mondiale, new-wave et musique électronique se sont immiscés dans ma discothèque. J'ai trippé sur le rock raffiné de Joe Jackson, sur le désespoir existentialiste des Cure (et leur exubérance passagère), sur la renaissance artistique de Peter Gabriel, sur le rock raffiné et oblique de David Sylvian, sur la palette sonore inouïe de Kate Bush, la force des compos de Depeche Mode, sur le minimalisme de la série Ambiant de Brian Eno, et même sur les motifs obsédents de Philip Glass.


Et lorsqu'on commence à s'intéresser aux musiques du monde, à toutes les musiques du monde, c'est un monde inépuisable qui s'ouvre à soi.

Depuis, zappant sans arrêt du passé au présent, je ne cesse de découvrir l'étendue de mon ignorance. La poésie inépuisable de Bob Dylan est une découverte récente; le lyrisme passionné de Van Morrison aussi. La grâce musicale de Joni Mitchell, la science dansante des Talking Heads, le spiritualisme embrasé de John Coltrane ou le jazz élégiaque et passionné du Brad Meldhau Trio. Sans oublier, surtout, le rock complexe, parano, lyrique, psychédélique de Radiohead, le meilleur band que je connaisse. Je m'arrête, la liste va devenir indigeste!


Le meilleur moyen de savoir à qui vous avez affaire, c'est de consulter ma liste des 100 albums à amener sur une île déserte!

Bonne lecture!