Poetry and music are for those with straight connections between ears, eyes, heart, and gut. (Diane Dorr-Dorynek)
jeudi 22 mai 2008
La TROISIÈME salve de PORTISHEAD
Je ne peux même pas évoquer proprement tout le bien que je pense du troisième opus, si longtemps attendu, de Portishead, le porte-étendard involontaire du mouvement trip-hop, et dont la musique est plus forte, fraîche, essentielle et actuelle que jamais, en 2008.
Je n'hésite même pas à dire que Portishead a frappé plus fort que Radiohead et son In Rainbows, et vu l'amour immodéré que je porte à la formation de Yorke, Greenwood et Co., ça évoque assez bien mon état délirant.
Les salves rythmiques sauvages et la talking radio de provenance et de langue inconnus qui ouvrent l'album sur Silence, la première pièce, nous plongent dans un voyage dense de rythmiques agressives, dominant les soundscapes élaborés et cinématographiques de Barrow; on a l'impression, récurrente, d'être dans un film de science-fiction glacial des années '80, tendance Blade Runner (succédant à l'ambiance film noir du second disque éponyme), comme si Philip K. Dick avait déménagé ses pénates dans une Angleterre post-industrielle et s'était mis à la musique pluvieuse; et pluvieuse est la voix si expressionniste, intime, déchirée, déchirante de Beth Gibbons, la voix d'un ange cerné par les climats sonores étranges de ses acolytes.
Le folk hanté de "Hunter", la beauté éthérée de "The Rip" et son solo de claviers à la Tangerine Dream, le climat de fin du monde de "Plastic" et ses roulements de batterie hyper-compressés, et ces bruits de pales d'hélicoptère (ou je ne sais trop quoi) à l'avant-plan du paysage sonore... Toutes les idées sonores de ce disques me plongent dans un ravissement pervers, comme un roman de Antonin Artaud. Et que dire de la salve sauvage de Machine Gun, un "grower", une rencontre entre Kraftwerk et l'électronique industriel, avec toujours cet ange aux ailes percées de trous de balle grosses comme le poing, Beth Gibbons, une interprète sans égal, que ce soit au sein de Portishead ou de son duo avec Rustin' man.
Vraiment, ce disque est une décharge sonore, le moment sonore inouï de ce début d'année. Drôle de disque de printemps cependant, comme vous l'aurez deviné.
Ben quoi, restez pas planté là! Courez l'acheter!
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Sur la platine: John Zorn en plein survoltage
Ce n'est pas un disque qui peut servir de trame de fond.
C'est au contraire un disque sur laquelle on branche un cerveau surexcité pour en survolter encore plus les synapses.
Prenez une solide dose de post-bop, tendance free.
Glissez-y des harmonies hébraïques, arabes, moyennes-orientales, je ne sais...
Enfermez-moi l'imparable section rythmique Greg Cohen / Joey Baron;
ajoutez la trompette incisive de Dave Douglas;
le tout sous la direction musicale de cet être survolté, capable de tout, John Zorn...
Ah oui, et l'enregistrement: première classe!
Voici Masada. Dans ce cas-ci, le volume 6 (vav). Un des mille projets parallèles menés par ce maître cubiste des musiques improvisées (je parle encore de Zorn bien sûr)...
À écouter, encore et encore, le solo de Baron, avec le soutien de la basse de Cohen, sur la 5e piste ("Nevalah")... haute pyrotechnie percussive parfaitement rendue sur disque, excellent pour mettre en valeur votre système de son; et le solo magnifiquement inspiré et lyrique de Douglas sur la 6e pièce ("Miktav")...
(Lorsque j'aurai le temps, je vous parlerai de ce que j'écoute vraiment constamment ces temps-ci: le fantastique, l'hallucinant troisième disque de Portishead, un chef d'oeuvre dense, épeurant, émotif, mêlant la violence de beats krautrock déjantés et la voix fragile, passionnée, toujours sur le point de casser, de la grande Beth Gibbons. À écouter avec une dose sévère de Nine Inch Nails récent (Ghosys, The Slip) et du Can à volonté.)
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samedi 10 mai 2008
Sur la platine... acquisitions récentes... Nina Simone...
Nina Simone. Le nom évoque une musique noire, noire dans l'âme, noire tristesse, noir combat. Difficile d'imaginer Nina Simone souriante tant sa musique évoque le blues, le delta du Mississipi, le combat pour les droits civiques... La première fois que j'ai entendu Nina Simone, c'est en français... dans un magnifique clip de Denis Villeneuve, dans la regrettée Course autour du monde de Radio-Canada. Denis, qui n'en est pas à un flash génial près, avait retracé, quelque part en Afrique, la femme à qui était destiné la plus déchirante chanson d'amour de tous les temps, Ne me quitte pas de Jacques Brel; pour accompagner son clip, Denis avait choisi, non pas la version archi-connue du compositeur, mais la déchirante interprétation de la grande Nina Simone, sa voix de contralto émergeant du silence avec cette force passionnée qui fait presque peur, tant elle porte intensément sa force de vivre.
Nina Simone, donc... Une carrière tumultueuse. Une descendante directe de Billie Holiday, peut-être, mais avec le talent musical et la tessiture sombre de Sarah Vaughn... c'est aussi dans sa musique, ses conceptions musicales et son sens de l'ambiance que Cassandra Wilson puise sa source.
Nina était une pianiste accomplie, et on s'en rend immédiatement compte en écoutant son tout premier CD, Little Girl Blue, sur étiquette Bethleem. Elle relaie même sa voix d'une fugue jazzée sur une des pièces. C'est ce qui joue en ce moment sur ma platine: versatile, allumée, mais déjà cette voix chocolat. Elle n'a que 24 ans, et déjà, tout est là, y compris cette manière derendre chaque interprétation vraiment sienne! Moins une patine de souffrance, une chape de plomb qui va la faire ployer plus tard. C'est peut-être ce qui rend ce disque si agréable à l'écoute: c'est toute la densité de Nina Simone, mais avec de la lumière. C'est un excellent enregistrement en trio, 1957, stéréo, avec un son immédiat et plein. La légende veut que le vinyle mono Bethleem (PAS la réédition des années '80) soit la plus belle version, soniquement parlant.
Nina enchaine ensuite avec une série d'albums pour le label Colpix. J'ai trouvé sur E-Bay, pour 12$, cette excellente compilation: The Nina Simone Collection 1959-1964 (Colpix Label)... 9 albums de représentés, 38 pièces, dont un grand nombre de "live" en trio; le style Nina Simone s'affirme, tant dans sa voix que dans son choix de matériel. La palette de Nina a toujours été très large: showtunes de Broadway, standards jazz, blues traditionnels, pop songs. Mais durant les Colpix years, il y a un point d'équilibre, avec peut-être une dose supplémentaire de blues, qui rend ces années très cohérentes et riches. Tranquillement, ses convictions politiques, les combats pour l'équité viennent colorer le message, et peut-être assombrir la messagère. Mais de temps en temps, une pièce lumineuse avec cordes ("Tomorrow") arrive, ou une showtune qui semble tirée d'un western ringard ("Chilly Winds Don't Blow") nous rappellent la grande versatilité de l'artiste. Mais c'est quand même les blues dépouillés qui nous prennent le plus aux tripes. Excellent voyage à travers des années riches où la musique pop, le jazz et le blues cohabitaient facilement.
La suite, c'est la période classique de Nina Simone, les années Phillips. C'est la grande période des grands classiques inoubliables qui ont marqué les interprètes futurs: Ne me quitte pas, I Loves You Porgy, Strange Fruit (de Billie Holiday), Lilac Wine (repris par Jeff Buckley 30 ans plus tard), Don't Let Me Be Misunderstood, Wild Is The Wind (repris par Bowie), I Put A Spell On You (scary!). Ce sont des albums fantastiques dans des années intenses de combats civiques, les grandes années de l'Amérique tiraillée entre les idéaux de ses grands leaders (Kennedy, Luther King) et les forces obscures et républicaines. Nina Simone est à son sommet absolu, et l'achat obligatoire, c'est le coffret Four Women: The Nina Simone Phillips Recordings (35$ chez CD Universe), qui comprend intégralement les 7 ou 8 albums de cette période, dans un excellent remastering.
Mais je n'ai toujours pas ce coffret, et en attendant, je me rabat sur cette compilation bien connue, The Best Of Nina Simone, qui est sans doute la meilleure introduction à Simone pour le novice, et qui ne vous coûtera même pas 10$.
On enchaîne sur une autre compilation double, The Very Best of Nina Simone - Sugar In My Bowl (1967-1972). Cette fois, votre humble audiophile doit admettre que la magie cesse d'opérer. L'excellent et le médiocre se suivent de près durant cette période, où, apparemment, Nina étend un peu trop ses ailes et commence à perdre de l'altitude. La direction musicale devient moins claire à force de s'éparpiller dans tous les sens. Dylan, les Beatles, Cohen s'ajoutent à ses interprétations, mais la greffe prend moins. Peut-être qu'au fil des écoutes je découvrirai des perles cachées, une subtilité musicale qui m'échappe pour le moment. Mais dans ce déluge de Nina que j'ai acquis récemment, c'est l'item qui reste bien sagement dans sa place dans la discothèque... pour le moment.
Nina Simone. Tout dépend de ce qui fait votre plaisir, en musique, de votre conception personnelle de ce qu'est un plaisir musical. Mais dans un monde de chanteuses athlétiques qui voient la musique comme une compétition sportive, des chanteuses comme Nina Simone sont nécessaires pour nous rappeler qu'il y a aussi une lignée de chanteuses racée qui avaient quelque chose à dire, esthétiquement, spirituellement, politiquement. Au royaume du divertissement et du prêt-à-jeter, il est encore possible de trouver un sens à la musique.
Nina Simone est décédée le jour de mes 39 ans, en 2003.
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