Je ne parle pas de musique bruyante. Je parle de musique dynamique!
Comme dans: contraste entre les sons les plus forts et les plus faibles. Attaque soudaine. Accalmies subtiles.
Les contrastes sonores font partie de la vie. C'est une arme redoutable entre les mains des musiciens pour sculpter leurs paysages auditifs.
Et c'est une qualité en voie de disparition.
Au moment où les systèmes sonores deviennent chaque jour plus performants, plus dynamiques et rapides, où les enceintes deviennent plus efficaces et, conséquemment, plus aptes à réagir rapidement à un contraste de décibels, voilà qu'une nouvelle génération d'ingénieurs de son et au mastering biffent la dynamique, l'annihilent, mettent en place des peak limiters et des compresseurs et ramènent la plage dynamique à un minuscule 10 dB... ce qui permet à ceux qui écoutent la musique dans leur voiture et leur i-pod de percevoir, au-delà du bruit de fond, les détails les plus subtils du mixage, mais ça aux dépens de la plage dynamique, et donc, de la réalité du son.
Mais cette descente vers le lo-fi (basse-fidélité du son) n'est pas uniforme. La musique classique y échappe, le jazz aussi. Et quand aux vieux succès rock et pop qui remontent à une quarantaine d'années, tout dépend qui en signe le remastering.
Pour vous en convaincre, regardez le tableau qui suit! D'abord le classique.
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Mais avec des dynamiques au-dessus de 20 dB, on voit que la culture musicale classique favorise la restitution des volumes sonores.
Qu'en est-il des jazz, blues et musiques du monde acoustiques?
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Et voilà qu'on arrive au chapitre triste de l'histoire; chapitre chronologiquement de plus en plus triste...
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On fait une exception avec David Sylvian, dont les albums sont des sculptures sonores magnifiques et qui, évidemment, ne se prive pas de dynamisme (à noter que ses enregistrements sont digitaux, pas analogues, ce qui prouve que ça n'a rien à voir!). Par la suite, les albums les plus dynamiques sont de vieux enregistrements de 68 et 69 (remasterées par des mains expertes cependant) avant la descente aux enfers dans le rock contemporain et ses ridicules 10 dB de dynamique. Plus nous avançons dans le temps, moins la plage dynamique est étendue, et même un album résolument lo-fi comme le formidable Funeral de Arcade Fire d'il y a 3 ans utilise plus de plage dynamique que le tout récent In Rainbows de Radiohead (sur une pièce tout en montée dramatique avec climax en plus!).
Maintenant, que Portishead compresse ses pièces, on pourrait croire que c'est un choix esthétique conscient et même participant de l'impact. Mais quand un album de art-rock complexe et riche comme celui de Radiohead est moins dynamique que du Arcade Fire, c'estquelque chose de carrément aberrant. Je me demande comment Robert Ludwig, l'ingénieur au mastering et dont la signature était recherché dans les vinyles il y a 30 ans, considère son propre travail!
Le divorce entre haute-fidélité et rock est-il irréversible???