mercredi 10 décembre 2008

Sur la platine: Jon Hassell

Musique des possibles? Ethno-beat d'un territoire imaginaire? Enregistrements à la fois primitifs et futuristes d'un peuple mythique? Comment décrire une musique absolument unique? C'est compliqué. Peindre des sons avec des mots. Fatalement, il faut y aller par analogie.



De tous les disques nés de la mouvance "ambiant" dont Brian Eno est bien sûr le fer de lance, aucun disque ne me transporte autant que ce disque étrange à la pochette rose, crédité à Jon Hassell et Brian Eno: Fourth World Vol. 1: Possible Musics. Dans l'écrin d'une mise en sons qu'on associe peut-être à tort aux manipulations électroniques de Eno plane un étrange instrument manipulé par un être à l'imagination fertile mais singulière: Jon Hassell, trompettiste, aux commandes d'un instrument dont le son est extrêmement difficile à décrire, mais inoubliable après quelques mesures: une trompette électronique, détimbrée, à l'éclat flou, aux mélopées circulaires, qui évoque à la fois l'eau d'une chute et la brume d'un crépuscule, ou alors le chant nocturne d'un oiseau inquiétant, à peine physique.

Plus prosaïquement, un interviewer plus allumé que moi (Jason Gross, Perfect Sound Forever) a mis le doigt dessus, en demandant à Jon Hassell si son style de jeu à la trompette n'était pas en fait très proche du chant indien. Réponse de l'Américain:

Just about everything I have, I owe to Pran Nath. For the first few months with him, I learned by singing. A phrase would be sung to you, you'd sing it back and if it was correct, you'd move on to something more complex. If not, you work on it again or do something simpler. It was aural/oral transmission.

Then I started to try to do that on trumpet. I had to completely forget everything that I'd ever been taught I'm still trying to forget it. It was a matter of trying to make the mouthpiece sound like a voice merged with a conch shell.

Charm, une longue mélopée de 21 minutes qui clôt l'album, demeure un de ces morceaux singuliers qui vous hantent, comme une image troublante dans un film peut vous hanter, vous habiter faire partie de votre imaginaire. Batteur africain, percus brésiliennes (Vasconcelos si ma mémoire est bonne) et la voix hantée de la trompette de Hassell qui passe comme un spectre... pas étonnnat qu'après l'avoir entendu, Brian Eno, qui, à l'époque, éclatait dans toutes les directions en compagnie des Talking Heads, ait voulu associer son nom à une si séduisante proposition, si proche de ses propres recherches: musique ambiante, rythmes ehtniques, recherche sonore... Une amitié était née, une collaboration artistique, mais des egos allaient souffrir...

Brian and I went into the studio to do Possible Musics. At that time, Brian was known to me as a guy who did big washes, big watercolor sweeps. I imagined that he would be filling in that tambura part that I was talking about before.

This record could have easily been 'by Jon Hassell, produced by Brian Eno.' That would have been correct billing. But at the time, I was trying to pay the rent and I decided that I wanted it to say 'Jon Hassell/Brian Eno.' This later became a problem for me because he had such a high profile in the pop musical world, it often became 'his record', so to speak. That was painful.

The next thing was Bush of Ghosts, which came to me as a project that we all (Brian, David and I) were going to do together. We were starting from the premise of what the Residents had done with Eskimo, that idea of fake ethnic music. They were going to go out to the desert somewhere in California, get an 8-track and send for me. At the time, I was a 'downtown Soho composer' struggling to make the rent every month so I couldn't even get the plane fare to fly there. I got a tape back a month or so later and it was some North African vocal over a bass and drum loop.

I was outraged. This was clearly a not-too-subtle appropriation of what I was doing over rock drum and bass I thought it was a very unethical thing to do and the fact that I was never credited--even for being an inspiration--is a testament to the testosterone in the room at that time. Psychologically I imagine it went something like, 'We're rich and famous...we can get away with it, so we'll do it.' Maybe there was a self-hypnosis that permitted them to ignore the origin of the whole situation. That created a rift for awhile. This made the struggle for my own musical identity in the marketplace all that more difficult and I still run into the consequences of this arrogance.
[L'album en question, qui a si choqué Hassell, est évidemment le fameux My Life In The Bush Of Ghosts.]


Peut-être son ego meurtri (il se crédite aussi d'avoir entrainé Peter Gabriel sur la voie des rythmes africains; je le créditerais plutôt d'avoir précédé Gabriel, Eno, Byrne et les autres sur un chemin qu'ils empruntaient déjà) explique-t-il que la série des Fourth World disparut après un second album (Dream Theory in Malaya) que je n'ai jamais eu le plaisir d'entendre. Mais pourtant, un 3e tome existe presque. Il s'agit de Power Spot, une co-production du fameux duo Brian Eno/Daniel Lanois, avec entre autres Michael Brook à la guitare. Un disque ECM de 1986, qui semble le sequel de Possible Musics, tant les textures sonores et le jeu sinueux du musicien sont en continuité avec son fameux prédécesseur.



Hassell a aussi prêté sa trompette à un nombre considérable de disques, dont Brilliant Trees (le 1er et excellent disque solo de David Sylvian) et la bande sonore de The Last Temptation of Christ de Peter Gabriel. On ne s'étonne pas de savoir que dans ses années de formation (entre autres avec Stockhausen!), Hassell aura cotoyé d'autres figures marquantes des musiques contemporaines: le bassiste de Can, Holger Czukay (qui a lui-même cheminé sur les sentiers ethniques et les collages inusités, tant avec son groupe que dans ses albums solos), Terry Riley, etc.

Voici quelques mots tirés de l'excellente entrevue mentionnée plus haut, quelques mots par lesquels Hassell décrit avec poésie son Quatrième Monde...

I wanted the mental and geographical landscapes to be more indeterminate- not Indonesia, not Africa, not this or that. I thought I was more successful in trying to create something that COULD HAVE existed if things were in an imaginary culture, growing up in an imaginary place with this imaginary music. [...] 'If something really feels good, then why don't you do it all the time instead of only doing it on Saturdays?' Fourth World is an entire week of Saturdays. It's about heart and head as the same thing. It's about being transported to some place which is made up of both real and virtual geography. It's about a beautiful girl and a beautiful situation at the same time.

1 commentaire:

  1. Ha ! un Jon Hassell que je ne connais pas !
    on peut pas tout avoir ;-)
    merci pour l'article !

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