mardi 22 juin 2010

food time... play time... monk time...

Ah, comment résister à la musique de Sphere? Je me le demande. Je suis là, avachi dans un sofa, plus mort que vif, à laisser du cool-jazz m'achever dans la nuit tombante … je pousse la curiosité à démarrer Monk's Music, un opus Riverside de 1957 que je n'ai jamais écouté (j'ai rassemblé sur un DVD-A plusieurs disques à écouter)… et, tout en regardant la réjouissante pochette de Monk dans un traîneau rouge d'enfant,  voilà que soudain, au détour d'une syncope, d'un heurt mélodique, d'un jeu harmonique, d'une réfraction inattendue, mes synapses s'éveillent, commencent à investiguer, à en redemander… food time... play time... monk time...

Monk, c'est un peu le Stravinsky du jazz… une sorte de savant dingue tout en allusions cubiques, en jeux rythmiques, en détours surprenants. Comme Stravinsky, il pouvait écrire des thèmes inoubliables sans même forcer son talent (Round Midnight, ça vous dit quelque chose?). Mais comme Stravinsky, il n'aimait rien autant que de tordre les géniales mélodies qu'il avait dans la tête, de les swinger, leur donner une vie inattendue. Stravinsky est sauvage, Monk est naïf… Il s'amuse et crée des tableaux modernes, piquants qui, pour les musiciens, doivent être un terrain de jeu hilarant.

Faut écouter cet album exceptionnel, qui s'ouvre sur un hymne à quatre cuivres (2 ténors, 1 alto, 1 trompette) avant que l'on plonge dans une de ces mélodies inoubliables dont il a le secret: Well You Needn't. Et là, c'est 11 minutes de pur régal, avec un Art Blakey toujours aussi tribalement trippatif à la batterie (écouter le solo!), et un John Coltrane en pleine désyntox de Miles, et dont les solis denses  semblent si bien s'accorder avec la légèreté de Monk. Un régal!

Et puis, dès la pièce suivante, l'étendue débile du talent de Monk nous est donnée: il offre à Papy Coleman Hawkins, le père du swing au ténor, un beau thème langoureux où la tendresse virile du Hawk s'exprime (Ruby My Dear)… C'est pas beau à entendre ça?  Le grand prêtre de la révolution bop qui offre à un des vétérans de l'âge classique du jazz l'occasion d'exprimer tout son talent parmi ces jeunes morveux. Et dès la suivante, on retourne en syncope Monkienne, avec un Off Minor passionnant, avec une trompette (celle de Ray Copeland) qui joue avec le rythme et ne cesse de triturer le thème pour le rendre plus irradiant…

Epistrophy, qui suit et qui a droit au même développement complet que Well You Needn't, permet de nouveau de se rendre compte à quel point le très intense Coltrane, le très tribal Blakey et le très cérébral Monk se complétaient bien. Pas que les autres soient des bûcheux, mais ces trois-là ont entre eux une sorte de complémentarité émotionnelle jubilatoire. Normalement, j'aime pas beaucoup les solos de batterie. mais Blakey est tout simplement irrésistible.

Crépuscule with Nellie, qui clôt l'album, est une autre de ces ballades magiques de Monk, selon un art mélodique étrange et séducteur qui est disparu avec lui.

Ah, Monk… on ne te fréquente jamais assez! 30 minutes qui ne cessent de nous surprendre, et qui n'ont pas vieilli.
(et pour notre grand bonheur, ce n'est pas un enregistrement de Rudy van Gelder, plutôt de Jack Higgins… ce qui signifie que le piano de Monk sonne comme un piano! La batterie aussi semble particulièrement bien enregistrée...)

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