samedi 25 septembre 2010

Cratère sur ma rue


Depuis un mois, il y a un gros cratère noir dans ma rue.
C'est comme une nuit qui s'est trouvé une résidence, juste de l'autre côté de chez-moi, là où j'aimais niaiser, niaiser le temps quant il tire sur ma laisse.
Ma fille et moi avions passé une matinée ensoleillée ensemble. Match de soccer, où elle avait marqué, café et chocolat chaud au Starbuck, petite saucette au pet-shop; ma fille est une vraie libellule, et y'a rien comme se promener avec elle au soleil, ça vous fait des ailes de vitrail qui vous éblouissent et vous étourdissent. Et puis on est entré se reposer un peu. Après tout, c'est samedi.
Mais du salon, ma libellule m'a lancé un cri inquiet.
Papa, y'a deux policiers armés qui sont rentrés chez Pierre.
Ma petite regarde souvent de l'autre côté de la rue. Inquiète. Inquiète pour Pierre.
Une autre voiture de police. Une ambulance. Fuck. Pierre vient de tomber dans le trou noir.
Je sors, en ordonnant à ma petite de ne pas bouger. L'ambulance se met de reculons dans l'entrée. Les policiers ont rangé leurs guns. Le dispatch au 9-1-1 a eu peur, parce que la douce de Pierre était incapable de parler au téléphone, alors que Pierre venait de tomber dans le cratère.
Mon pote sur un stretcher.
Les sirènes qui nous cisaillent les oreilles.
Ma voisine me fait un signe sans équivoque.
Mon pote ne remontera jamais de ce trou-là.
Et depuis ce jour, le cratère, de l'autre côté de la rue. Impossible de ne pas le regarder, ce trou qui s'est invité.
Alors Pierre, est-ce que tu l'as revu, le film de ta vie à l'envers? Quand la Grande Faucheuse s'est penchée à ton oreille et t'a dit: Arrête, je t'amène avec moi, tes souffrances sont finies... as-tu eu le temps de tout goûter à nouveau, une dernière fois? L'amour de ta douce, les joints de la fin - pour alléger tes souffrances écoeurantes - la pancréatite, le coma et la résurrection... et puis les années d'avant, avant que je te connaisse, la grosse vie, les mauvais compagnons, la bouteille un peu trop tutoyée, la soirée folle qui s'est terminée dans un lampadaire pour une certaine célébrité parmi vous, les vinyles détruits par une douce qui n'était pas si douce, et ce joint partagé avec un certain apache-black aux doigts interminables et au talent prodigieux à Woodstock... cette partie de touch-football chez ton ami Laporte, une heure avant qu'un commando ne vienne détruire une famille, un homme et tout espoir de la gauche québécoise... les années soixante... et avant ça, l'enfance turbulente... il y avait encore, dans les derniers jours, dans la morsure imbuvable du mal, un grain de malice d'enfant turbulent, accroché dans ton sourire... Gamin jusque dans tes derniers retranchements.
Pierre n'a pas eu une vie monotone.
Ça crée un trou encore plus grand.
Une des dernières soirées passées ensemble, on l'a passé à jouer de la musique ensemble, entre non-musiciens, avec nos douces, les joints de la compassion (pas le Club, il venait d'être fermé par les intégristes bien-pensants) et le héros de Pierre, celui qui l'a aidé à passer à travers les dernières semaines, Santana... Soirée de canicule dans cet été de canicule. Le doc lui avait dit: Passe un bon été, pis on se revoit en septembre... On va t'arranger ça en septembre...
Le temps s'est arrêté en août.

1 commentaire:

  1. GeofM29.9.10

    Merci de ce témoignage à/p de ton ami, Fred. C'est venu me chercher.

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