dimanche 12 septembre 2010

Sur la platine: les couleurs et le temps rythmé de Debussy




Il y a un âge où on aime les choses floues, les choses qui réverbèrent, les chromatismes acidulés, le sol informe, la neige glacée, la nuit très noire et le temps élastique. Moi, c'était du temps de mon CEGEP. Le monde avait à cet âge quelque chose de poétique qu'aucune merde du quotidien ne pouvait achever; elle pouvait seulement lui mettre une cape mélancolique, une sorte d'aura émotionnelle douloureuse pas complètement détestable. C'est qu'on les ressent drôlement, les choses, à ces âges-là!

Et donc, c'est dans cet âge et dans cette ouverture de la tête et des oreilles, qu'un jour, entrant chez Musique d'Auteuil à Québec, j'entends pour la première fois les Préludes de Debussy, joués par Arturo Benedetti Michelangeli (juste le nom, ça en jette, hein?).

C'est au même âge que j'ai découvert Philip Glass, Erik Satie, Terry Riley, un tas d'autres choses. Alors, les Préludes, leur espèce de précision et d'élégance raffinées de haïku, leur liberté rythmique, le jeu constant des dynamiques et des tons, l'espace réverbérant que leur a ciselé les ingénieurs de Deutsche Grammophone, tout ça ne pouvait que me plaire, que dis-je, me faire planer.

J'ai toujours retenu ce nom, Michelangeli. Et lorsque, quelques cycles de vie plus tard, j'ai finalement acheté le cycle complet sur CD, je m'attendais à retrouver le même monde étrange de "cathédrale engloutie", de "pas sur la neige" et de "vent dans la plaine" (tous les noms très mallermiens de Préludes).

Mais le temps avait passé, l'âme pris quelques baffes et l'époque n'était plus vraiment à l'ouverture devant les miniatures informes dessinées par le piano trop raffiné de Debussy, ce génial coloriste de l'ivoire. Qu'est-ce que je me suis ennuyé à essayer de retrouver cette magie... Le monde de Debussy, d'informe, était devenu opaque, inconsistant, comme si je la voyais à travers une vitre sale.

Maintenant, expliquez-moi ce mystère, typique de la vie de mélomane. Ce soir, j'ai eu envie de les écouter ces Préludes. Une impulsion. Une humeur. Un délestage de tout ce qui est logique, efficacité. J'ai redonné le piano à cet Italien au nom grandiloquent, j'ai fermé les lumières, les tubes, qui réchauffaient depuuis trois jours, avaient finalement une raison de le faire.

Et soudainement, Les Préludes ont retrouvé leur touche cristalline. Leur beauté chromatique, leur poésie rythmique. Même les noms ne sonnaient plus aussi ringard. Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir. Pourquoi pas.

Ce doit être l'automne qui approche. L'été s'achève. Si vous êtes jeunes, c'est un peu la mort des amours estivales. Si vous êtes un peu plus vieux, c'est le deuil de voir vos enfants quitter un peu plus le monde si incroyablement magnifique de l'enfance.

En tout cas, ce disque magique mais à la beauté subtile, je vous le recommande. Prenez le temps. Il va peut-être se dérober à vous la première fois. Mais il ne le fera pas tout le temps.

(Et pour me faire pardonner cette digression tout à fait informe, [sans doute dans le ton de Debussy, génie en moins!], quelques infos sur Michelangeli qui semble être tout un pistolet! Tiré de site http://sostenuto.piano.free.fr/A.B.Michelangeli.html
Arturo Benedetti Michelangeli est né le 5 janvier 1920 à Brescia (Italie) et mort le 12 juin 1995 à Lugano (Suisse)
Le personnage de Michelangeli prêtait souvent à des controverses. Il était souvent considéré comme un être fantasque, prêt à raconter toutes sortes d'histoires à son sujet. Il se déclarait notamment le descendant de Saint-Francois d'Assise. Le mythe qui tourne autour du pianiste, la rumeur, et la fascination ont pendant près de 50 ans attisé les foules du monde entier et ont fini par créer une icône qui n'avait pas toujours un lien avec la réalité. Michelangeli poss&eacutedait un charisme envoûtant grâce auquel il subjuguait son auditoire.La force de séduction du pianiste n'est plus à démontrer et le côté paradoxal du personnage réside dans son &eacutetonnante attitude vis à vis du public et de la presse. Particulièrement froid, distant et résérvé, la critique est exécrée par cet homme hautain et si sûr de lui. Mais il déchaîne les passions, on le trouve si fascinant. Michelangeli n'aimait pas divulguer sa vie privée.
Pourtant, on sait qu'il a donné son premier récital à 5 ans, qu'il a obtenu un diplôme de piano à 13 ans, et qu'il a même suivi des cours de médecine pendant 5 années sans jamais obtenir le diplôme. En 1938, il participe à un concours de piano à Bruxelles dont le jury comporte quelques personnalités du monde musical comme Artur Rubinstein. Michelangeli y sera classé en septième place et l'histoire raconte que Rubinstein lui-même a contribué à rétrograder le pianiste italien. Mais en 1939, c'est la consécration. La célèbre expression de Cortot qui suit la victoire de Michelangeli au Concours de Genève "c'est le nouveau Liszt, il rend le piano plus fluide !" le porte en triomphe et l'annonce comme l'un des plus éminents ambassadeurs du piano transalpin. Son interprétation des Préludes de Debussy reste une référence en matière de contrôle des masses sonores, d'analyse des phrases, de perspective impressionniste.
Sviatoslav Richter, qui n'avait pas le compliment facile, le jugeait "Incritiquable" tant son approche de la musique lui semblait profonde.

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