Vous avez passé une bonne St-Valentin?
Les fleurs, les cupcakes, les petits coeurs rouges partout sur la table, les cartes pleins de X et de O des enfants, le petit mousseux à table... chez nous, ce fut familial cette année. J'ai eu une vague de déception lorsque mes enfants ont transité vers le Nintendo DS et le DVD aussitôt le souper avalé... Quelle culture! Alors, j'ai replongé dans l'amour, mais l'amour grand A, comme mystérieux moteur de l'être humain, comme voisin émotionnel de l'Art, de la Beauté, de la Poésie. Ma douce avait eu un super-flash en m'offrant le disque "12 hommes rapaillés chantent Gaston Miron"... J'ai plongé dedans et depuis ce temps, il joue en boucle et enterre les sons électroniques poches des jeux vidéo et les paroles vides des cartes Hallmark.
Gaston Miron, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un immense poète qui sévissait sur le Plateau Mont-Royal il y a quelques années et qui a laissé une oeuvre immense (non en quantité, mais par son intensité) et immortelle (parce que ses thèmes sont les thèmes en majuscules cités plus haut) et universelle (parce que son nationalisme n'a rien de géographique)...
Ne vous laissez pas abuser par la pochette, où les douze hommes rapaillés du titre sont un heureux mélange de chanteurs qui, tous, sont aussi des auteurs-compositeurs qui n'ont pas à rougir de voir apparaître leurs noms dans le même 12 centimètres au carré que Miron. Douze homme rapaillés est d'abord l'oeuvre d'un homme: Gilles Bélanger. Le très discret Gilles Bélanger, qui, déjà, a mis en musique tant de poèmes et a donné vie à la magnifique carrière d'interprète de Chloé Ste-Marie. Il poursuit son oeuvre (majeure) en donnant cette fois les devants de la scène à des voix masculines (Miron écrit une poésie très mâle) et c'est tout aussi réussi.
Coup de génie: la réalisation a été confiée à Louis-Jean Cormier (Karkwa), donnant aux poèmes des enrobages musicaux au mordant moderne et une tension parfaite pour la poésie (incantatoire) de Miron.
Alors nous avançons, de poème en poème, comme des nomades-artistes dans un monde à deux doigts de la débilité avancée, et ça donne des strophes comme:
Nous reviendrons nous aurons à dos le passé
et à force d'avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces
de l'espoir
Excusez-moi mais des strophes comme ça, ça réduit en purée tous les petits poèmes moralisateurs sur le quotidien qu'on se tape à longueur d'albums depuis plusieurs années au Québec. Je ne vise personne, tout le monde a droit à sa purée; mais des Miron dans le décor, ça fait du bien comme un coup d'Obama dans la merde républicaine, et on doit remercier Bélanger pour nous décrasser les oreilles...
Le disque n'a pas de temps mort, mais ça lève drôlement à partir de "Ce monde sans issue" de Daniel Lavoie (quel interprète, capable de tellement de nuances dans son chant) et la pièce interprétée par Louis-Jean Cormier ("La route que nous suivons") qui suit est le climax, intense et karkwaïen, d'un parcours le poing fermé, suivi, contraste habile, idéal, d'un air irrésistible, folk, Pour retrouver le monde et l'amour, interprétée par Richard Séguin, jamais plus touchant que dans la simplicité, et dont la voix est comme celle d'un ami retrouvé...
Après un Plume solennel ("Nous marchons, ignorants de la trappe des gouffres, Vers l'horreur des demains sans paix ni charité. Désemparé.") arrive le moment du maître d'oeuvre, l'épilogue: la dernière pièce est interprétée par Gilles Bélanger lui-même... Après deux strophes, ma douce s'est retournée vers moi, les yeux ronds: "C'est Bori" elle s'exclame. Bon sang, mais c'est vrai: le débit, ce vibrato à la Reggiani, cette richesse dans les basses. Avons-nous la berlue? L'élusif Edgar Bori serait-il Gilles Bélanger? Ou Bélanger serait-il simplement immensément influencé par le plus mystérieux et poétique des chanteurs québécois?
Un dernier mot sur le son. Il est dit sur la pochette que le disque fut enregistré "live" en studio. On peut dire que Cormier et ses arrangeurs ont fait mouche presque continuellement, en créant un son riche et cohérent. S'il n'y a vraiment pas d'overdubs là-dessus, je trouve le travail exceptionnel et le mixage habile, réussissant à singulariser les voix (pas facile de suivre du Miron sans le lire) sans jamais nous priver de la richesse des arrangements. On suppose que la production aurait pu aller encore plus loin sans cette contrainte (choix artistique et/ou financier?). Le mastering est-il moderne (i.e. compressé)? Euh, je pense que oui. Pas de manière désagréable. Mais Guy Hébert, de Karisma, ne va pas contre le vent. On peut le regretter. Mais pas vraiment le critiquer.
Pour ma part, j'ai un problème avec ce disque. Je trouve qu'on distingue à peine la voix dans la plupart des chansons (alors qu'elle devrait être mise en évidence, non?). Je trouve aussi que le mix est flou et je déteste le son du snare. C'est plate mais ça m'empêche d'apprécier ce disque.
RépondreEffacerSinon, très bon blogue, en passant !
Rien de tel qu'un peu de compression au mastering pour vous ruiner une palette sonore! Dommage, parce que les arrangements de Louis-Jean Cormier sont toujours aussi riches.
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