lundi 27 avril 2009

Sur la platine: le Keith Jarrett Trio, Sinead O'Connor, la dernière production de Daniel Lanois


Il y a bien longtemps que je ne me suis pas arrêté pour écrire quelques lignes...

Rien à dire, rien à écouter. Même pas envie. Une pause pour livrer quelques guerres de la vie quotidienne, de la vraie vie.

Quand je regarde Obama et ses guerres à lui, je vois un super-héros. Pas de farces. Je pourrais même pas lacer ses chaussures.

Et puis j'avais débranché mes enceintes principales, pour toutes sortes de raisons logistiques. Mon système des dernières semaines, activé en travaillant, consistait en une carte Audigy branché à un ampli Denon 250 des années '80 et mes vénérables Rogers LS 3/5a. Bonjour la compression sonore!

Je vais vous dire: hier, j'ai pris le temps de rebrancher quelques éléments et de replacer mes enceintes à leur position optimale; malgré les tubes affaiblis de mon Atma-Sphere et l'utilisation d'un modeste Oppo 981 comme source, j'ai retrouvé le plaisir sensuel et esthétique de la musique. Mieux: le plaisir spirituel; cet indéniable pouvoir, si élusif à la recherche scientifique, si facile à trahir par nos mots, qu'a la musique.

Vous avez lu l'entrevue avec Olivier Sacks dans la Presse du dimanche? Passionnant. L'être humain et son étrange musicophilie. Son rapport à ce langage sans véritable sens qu'est la musique. Il faut que je lise le dernier livre de ce réjouissant neurologue qui avait écrit le passionnant L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau.

Si l'être humain a vraiment une part de Dieu caché quelque part dans sa masse adipeuse, comme certains le pensent et comme d'autres l'espèrent, faut la chercher dans les zones excitables par la beauté, la musique, la littérature, la poésie.

Bon, et ces albums qui sont venus titiller ma zone musicophage hier?

D'abord, déjà un 4e disque live tiré des concerts 2001 du Keith Jarrett Trio. Peacock, DeJohnette et Jarrett tiennent le flambeau des grands standards visités avec respect, lyrisme, muscle, profondeur, depuis 25 ans. Ici, de nouveau, des standards archi-connus. Pourquoi le grand, l'immense compositeur de Facing You et de l'impro des concerts de Cologne (Köln Concert) fait-il autant de standards en "live"? Parce que, dira-t-il à un journal de LA,
"We know how musical these songs are...Jazz musicians don't have to always break down doors: there's music inside the rooms too."
Et la musique, enfermée dans les portes cloisonnées de ces standards, ils la trouvent, la magnifient, la spiritualisent, nous l'apportent dans des architectures toujours passionnantes, tendues par l'explosif DeJohnette (et qu'est-ce que les ingénieurs ECM savent saisir une batterie!) et emportées au septième ciel par l'inusable Keith Jarrett.

On peut préférer l'esprit plus moderne d'un Brad Mehldau et ses audacieux choix de standards modernes (Radiohead, Nick Drake, Beatles, Paul Simon). Mais ces live du Keith Jarrett Trio sont comme une célébration de liberté musicale, de virtuosité et de respect de l'histoire du genre. Pour ma part, qui ne fait que gratter la surface de l'immense héritage de Jarrett, chaque nouveau disque demeure un grand moment.


La transition suivante paraît brusque? Pas tant que ça... Rien de tel qu'une discussion sur le Steve Hoffman Forum pour vous donner l'envie de renouer avec un disque oublié... l'annonce de la sortie d'une édition double Deluxe de I Do Not Want What I Haven't Got, le disque-phare de la superbe Sinéad O'Connor, a donné lieu aux spéculations habituelles sur la qualité sonore du remastering, qui sera sûrement "compressed with squashed dynamics and disastrous EQ", une sorte de mantra obligatoire chaque fois qu'une annonce similaire est faite. Un membre s'est quand même risqué à dire que, selon lui, l'édition originale "sounded like garbage". Réaction stupéfaite des autres... et pour cause!

Rendons justice au mastering original canadien, pressé entre autres chez nous chez Cinram (VKW-41759): ce disque sonne magnifiquement et Sinéad, alors toute jeune, et seule aux commandes (compos et production) a bâti un grand disque rock, surprenant dans ses arrangements, et d'une sincérité qui fait presque mal dans ses textes et ses interprétations mordantes. Avec en prime une des meilleures compos de Prince (le grand hit "Nothing Compares To U"). Est-ce que le rock peut être vraiment meilleur que ça? Mettez The Last Days of our Acquaintance sur la platine, fermez les lumières et pleurez un peu l'amour qui fait mal. La voix de Sinéad, avec tous ses défauts, des déraillements, des tics, transmet plus de douleur humaine que vingt "torch ballads" de Céline. Voilà, c'est dit. Écoutez-la, plus récemment, sur 100th Window de Massive Attack. Ou sur Harbour de Moby.

Ce disque, le 2e de la jeune femme fut le zénith d'une carrière qui s'est un peu perdue dans la controverse par la suite. La jeune femme a trop de sincérité pour notre époque d'hypocrisies mal assumées. Étrange de rencontrer ces artistes immenses en personne. J'ai eu la chance de rencontrer Sinéad en tournée de presse à l'époque. Précédée de sa réputation sulfureuse, elle intimidait tant et si bien les journalistes et les glaçait de réponses courtes dites d'une voix de souris que la conférence de presse était presque silencieuse. Ce qui a donné la chance à des journalistes moins ferrés (dont votre humble serviteur) de lancer toutes les questions qui leur passaient par la tête. Et elle, de répondre doucement, brièvement, ses grands yeux de vénusiennes bien plantés dans les vôtres, timide volcan qui ne demandait qu'à exploser sur scène, au Spectrum, le soir même.

Le disque se clôt sur une grande mélopée a capella. I do not want what i haven't got, chante-t-elle. Est-ce bien vrai? J'ai malheureusement l'impression qu'une telle âme d'artiste sincère et totale ne trouve jamais totalement le repos.

Comment finir sur un peak émotif après tant de belles violences? Sur un disque tout neuf, complètement inconnu, et qui porte une prestigieuse signature à la production, celle de Daniel Lanois. le disque s'appelle Mercy, l'artiste et son groupe se nomment Rocco DeLuca and the Burden et si ce disque ne fait pas un tabac auprès des amateurs de rock, c'est que le rock est mort ou l'industrie qui le supporte.

Rocco, joueur de dobro, a probablement été nourri au biberon en écoutant le déchirant Grace de Jeff Buckley et lui emprunte ses envolées dans les hautes notes; une manière de nous donner à goûter à la fois à la force sensuelle du rock le plus emporté et la fragilité la plus profonde de l'âme humaine (sa voix falsetto, toujours au bord de la cassure). La production de Lanois, raffiné, riche, cordes et poussières et bohème et nuits longues, est plus raffinée que jamais, mais magnifiquement préservée au mastering (contrairement à tant de ses disques, dont ceux de U2): il y a dans ce disque une poésie qui rappelle Leonard Cohen, un spleen qui creuse son foret dans le ventre comme un disque de Elliott Smith, une sorte d'aveuglement poétique à la Buckley et une beauté sonore comme seul Lanois en fabrique. Que dire de plus? J'aime ce disque, profondément. J'espère que vous l'aimerez aussi. Ce serait comme boire la même auge de sang noir. Mercy.

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