jeudi 30 avril 2009

Sur la platine: Les nuits langoureuses (et tranquilles) de Diana Krall... la Passion de Jeff Buckley

Coup dur professionnel, aujourd'hui. Recherché pour ma soirée musicale: apaisement... et pourquoi pas, opulence. Dans le sens monétaire du terme.

C'était mon anniversaire dernièrement, et ma fille, avec qui je partage une passion pour Radiohead et le Robert Charlebois des années boogaloo, m'a offert deux disques, situés aux antipodes dans le spectre sonore: le dernier Malajube (Labyrinthe) sur lequel je reviendrai et le dernier... Diana Krall, appelé judicieusement Quiet Nights.

Ma fille encourage les artistes de chez nous. Elle a toujours eu le coeur à la bonne place!

Et Diane Krall encourage la vente de disques en jazz. L'ex-protégée du label montréalais Justin' Time est aujourd'hui la vedette incontestable de la pléthore des chanteuses regroupées sous le parapluie de plus en plus large et confortable du jazz. Et ce dernier disque, avec grand orchestre, ne risque pas de lui aliéner son vaste public.

Les disques de chanteur avec orchestre ne sont pas toujours des galettes reposantes. Frank Sinatra et Billie Holiday ont offert des albums déchirants (et un peu déprimants) sous cette formule; Diana, elle, nous offre de la langueur, et elle y met tout le considérable goût dont elle a hérité, sans oublier le considérable talent de ses collaborateurs et son joli timbre de voix, avec cette tessiture juste assez rauque pour suggérer qu'on a affaire à une chanteuse qui a goûté à la vie et qui sent les choses.

C'est donc plage langoureuse après plage langoureuse, des standards archi-connus, dans un écrin sonore somptueux, et cette voix qui habite chaque note, sans trop forcer, sans trop de passion, mais avec beauté, avec talent, avec goût... nuit tranquille, on vous l'a dit.

[À comparer, son album de compos avec son Costello de mari, l'excellent The Girl In The Other Room, est presque atonal, tellement on prend soin de nous lécher l'oreille dans celui-ci.]


Un bon mot pour le mixage? Allons-y: je 'suis pas un spécialiste, mais quelqu'un qui réussit à nous faire goûter la somptuosité d'un large orchestre, dans toute sa richesse harmonique, tout en préservant une intimité de chambre à coucher à la voix, sait faire son boulot. Le son est excellent, et c'est pas Doug Sax, au mastering, qui va saboter le boulot!

Un seul reproche à la sensuelle blonde de Colombie-Britannique: était-il nécessaire de nous servir une millionième version (un peu indifférente d'ailleurs) de The Girl Of Ipanema (commodément rebaptisé The Boy... z'auraient dû garder le texte orginal, ç'aurait été plus épicé) et de Quiet Nights de Jobim? On aurait apprécié un répertoire un peu plus surprenant, comme par exemple l'excellente ballade des Bee Gees première époque, How Can You Mend A Broken Heart? servi en bonus ici.




Transition maintenant... on passe à quelque chose de plus substantiel...

C'est entendu. Nous mourons tous un jour. Nous mourons tous, trop tôt. Mais lui est vraiment mort trop tôt. Quel gâchis.

Or, le jour de l'enregistrement de cet album, ce sont les promesses d'un grand avenir qui sont éternisées. Et écouter aujourd'hui Jeff Buckley chanter au Sin-É Café de New York a quelque chose de poignant.

Nous sommes en 1993. Il a 23 ans, et il roule sa bohème depuis déjà sept ou huit ans, ayant quitté le confort de la maison familiale en Californie pour se frotter à la vie de la rue. Maintenant, ayant traversé le continent, il se présente, guitare à la main, avec sa belle gueule de poète, dans tous les bouges new-yorkais, donnant deux, trois spectacles par soir, offrant sa musique, sa voix, sa vie à la bohémienne new-yorkaise, en échange d'une bière, d'un café, d'un repas chaud, d'un divan dans un loft. On croirait lire Chronicles de Bob Dylan, 30 ans plus tard. Et tout comme elle avait signé le jeune Bob Zimmerman contre toute attente en '62, permettant à un grand poète de toucher un vaste public, la compagnie de disques Columbia, ayant eu vent de ce jeune homme qui remplissait les cafés et électrisait les clients le long d'interminables concerts improvisés, signe Jeff Buckley, fils du regretté Tim Buckley, disparu prématurément après un parcours météorique dans les années '70.

Mieux encore: faisant preuve d'une intuition magnifique, désireux d'enregistrer Jeff dans son habitat naturel, Columbia détache une équipe d'enregistrement pour aller l'entendre là où il se sent le mieux: dans le minuscule Café Sin-É.

Ce sont donc deux sets au Sin-É qui sont éternisés sur cette Legacy Edition, deux CD et un court DVD en prime. Où le jeune bohème nous livre des versions "unplugged", déjà magnifiques, de ses compos qui gagneront des tonnes d'électricité dans quelques mois, lors de l'enregistrement de son unique album studio, le magnifique, l'inoubliable Grace. Et où Jeff rend hommage à ses inspirations, en les interprétant de cette voix unique, tout autant Robert Plant que Nina Simone, qui reste gravée dans les mémoires: Van Morrisson, Bob Dylan, Leonard Cohen, Led Zeppelin, Billie Holiday et bien sûr, son idole, Nina Simone...

On a le coeur gros en l'entendant évoquer sa propre mort dans "Grace"... ou monologuer sur la "vie trop courte qu'on ne doit pas laisser empoisonner par les hommes qui vivent à l'abri de leurs bureaux" avant de se lancer dans une interprétation vibrante de "Eternal Life", une de ses plus belles pièces. Et puis il chante "Calling You" de la bande sonore de Bagdad Café, et on voudrait que ça ne s'arrête jamais.

Lisez le très beau témoignage d'une amie dans les notes de pochette, reproduits ici... Vous aurez l'ambiance de l'enregistrement, qu'on a eu le bon goût de ne pas essayer de "nettoyer".



Moins de quatre ans plus tard, entre deux sessions d'enregistrement de son second album, pour faire rire les copains, il plonge dans le Mississipi, qui n'a jamais, à ce jour, rendu son corps.

RIP Jeff.

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