mardi 25 août 2009

NEIL YOUNG, Mr Soul Man

      

Je connais peu le monde de Neil Young.

J'ai eu, comme tout le monde dans les années '70, un vinyle de Harvest, son grand classique de 1971, et me rappelle de presque chaque note, surtout l'émouvant The Needle and the Damage Done. Je regardais avec envie le vinyle triple de mon copain Ben, ça s'appelait Decade, et ça montrait que Neil Young savait déjà construire des rétrospectives intéressantes. Je savais qu'il était le sel rock du super-quatuor folk-rock californien Crosby, Stills, Nash & Young, une bande d'hallucinés qui torchaient des harmonies vocales célestes et qui, en rétrospective, formaient un pur diamant de talent comme peu de groupes en ont eu (et un immense gaspillage, dans la gueule de bois générale de l'après Woodstock).


Après son retour en gloire en 1979 avec Live Rust (Hey hey my my, Rock'n'roll could never die), j'eus la patience de suivre Young (un peu, parce que l'homme est très productif) dans ses multiples métamorphoses dans les années '80, le rockabilly (Everybody's Rockin'), le techno (Trans), le R&B (The Note's For You) puis j'ai un peu abandonné. Ce mec était azimuté, comme disent les Français, et le monde rock était en profonde mutation: de nouveaux héros occupaient ma platine (U2, Pixies, Talk Talk) et Young passait son temps à déjouer les attentes et à nous faire languir d'un nouveau Harvest. Il avait un peu de Zimmerman dans le nez, ce mec. Et les années '80 n'étaient pas tendres pour les héros de Woodstock et leurs amis.

Mais comme Dylan, comme Joni Mitchell, Neil Young est un authentique songwriter: un artiste, un écrivain, qui a choisi comme forme d'expression la chanson rock, et qui sait utiliser ce format si simple, si réducteur en apparences, pour y condenser des sédiments lourds de l'expérience humaine. Sa voix détimbrée, ce falsetto fragile, angélique pas d'ailes, est aussi dinstinctive dans le paysage sonore que la croassement de Corbeau noir de Bob Dylan, son seul rival par l'ampleur de l'oeuvre et la durabilité de la pertinence.

Et pendant que les aficionados célèbrent et se déchirent sur la sortie événementielle de la compilation mammouth du Neil Young Archives en Blue-Ray, un projet auto-biographique qui redéfinit par ses dimensions titanesques l'art de la compilation, j'ai fait un détour par quelques oeuvres des débuts du songwriter canadien, fin des années '60. Et je me demande combien de perles noires il me reste à découvrir tellement je suis ébahi par la singularité de l'oeuvre, par sa force dissimulée.


Buffalo Springfield

J'ai d'abord plongé dans le second Buffalo Springfield de 1967, Buffalo Springfield Again, qui joue en boucle depuis une semaine chez moi. Tout un terreau de talents: Stephen Stills, Neil Young et Richie Furay, ce dernier qui allait fonder Poco dans les années '70, les deux premiers qui allaient se retrouver au sein de CSN&Y avant de connaître des débuts de carrières solos éclatants.



J'écoute Again en boucle à cause du "opener". Tout comme Revolver des Beatles commence parfaitement avec Taxman, Buffalo Springfield Again a son parfait opener: un rock carré, baveux de Neil Young, parfait single de 1967, Mr Soul, regard cynique et halluciné sur la vie de rock star, que Neil Young aurait composé alors qu'il était en convalescence d'une attaque d'épilepsie subie pendant un spectacle... Riff tranchant à la Satisfaction, guitare solo fuzzé à l'envers inversée sur la bande: un condensé d'époque.

In a while will the smile on my face turn to plaster?
Stick around while the clown who is sick does the trick of disaster
For the race of my head and my face is moving much faster
Is it strange I should change? I don't know, why don't you ask her?
Malgré toutes ses qualités, Buffalo Springfield n'allait que passer: trois albums, de 1966 à 1968... Mais Neil Young ne faisait que commencer sa carrière.

Je viens de découvrir Neil Young, le premier album solo, sorti dans l'indifférence en janvier 1969, peu après son départ de Buffalo Springfield et avant qu'il rejoigne Crosby, Stills & Nash. Et j'écoute, fasciné, ce petit chef d'oeuvre, en mode mineur, de folk-rock aventureux, épique, comme un western flyé, petit budget et grandes idées, avec cette sorte de solidité dans la forme de Unforgiven de Clint Eastwood. Si cette description peut avoir le moindre sens.

C'est un peu exagéré; Unforgiven est un chef d'oeuvre, Neil Young un joli terreau bordélique. On est loin de l'équilibre parfait et des mélodies mémorables de Harvest. La voix de Young est mal assurée, et dans le mix original que j'écoute en ce moment même (et qui fut retiré du commerce peu après), elle est enterrée dans d'audacieux arrangements d'un collaborateur de Buffalo Springfield, Jack Nitzsche: surprenantes guitares fuzzées, cordes cinématographiques... Tout le futur de Neil Young semble se condenser dans un petit chef d'oeuvre de moins de 4 minutes: The Loner, le titre sur lequel je reviens toujours, parce qu'il est complètement addictif, par ce mélange de violence des guitares, de douceurs de cette voix à la fois faible et si expressive, et le parfum poussiéreux des cordes. Un 4-minutes autobiographique parfait, alternant mode majeur et mineur, comme un monde en miniature, après quoi tout a été dit.



The Loner est si fort comme titre qu'il fait de l'ombre au reste de l'album: mais I've Been Waiting For You et ses guitares plombées, le joli The Old Laughing Lady (malgré des choeurs gospel un peu overkill comme on dit) et l'épique The Last Trip To Tulsa, à la Dylan, vous feront tous passer de très beaux moments. C'est férocement anti-commercial, et c'est ce qui est beau: pas de suits à se demander si ça va jouer à la radio, pas de A&R qui ont le doigt sur le piton du compresseur au mastering... Parfums d'une époque malheureusement oubliée.

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