Il a fait chaud dans mon lit au son de Rocco, il a fait froid sur la piste de jogging sur le bord du Canal au son du vent vent qui sifflait dans mes oreilles; on s'est empiffré de hot-dogs et de frites au souper; on a regardé tous ensemble Marley and Me, ma petite a pleuré quand Marley est mort, elle m'a frappé la main, en douceur, en me disant: "Tu vois un chien c'est génial" puis ma douce et moi on a regardé The Curious Case Of Benjamin Button, fascinés une nouvelle fois par le cinéma déjanté, différent, de David Fincher... Cherchant Montréal dans chaque scène, et la trouvant travestie en Paris, en Moscou, en New York. Curieusement, je faisais justement du repérage, exactement aux mêmes endroits, cette semaine.
Et finalement, je me suis réfugié dans mon antre. Recharger les batteries. Il est 2 heures 18, les Glassworks de Philip Glass jouent alors que j'écris ces lignes. Un de mes disques préférés, un disque que je suis venu chercher à Montréal, tout jeune, en bummant mes cours, dans un sous-sol, parce que le disque n'était pas arrivé à Québec. Je n'avais jamais entendu quelque chose de pareille à l'époque. C'était en 1982, et ce disque ne quittera jamais ma collection, quoi qu'il arrive.
Philip Glass est fascinant; d'une matière apparemment réduite à presque rien, quelques notes mille fois répétées (Glass a quelque chose du maître assis à son métier à tisser), il crée un monde cyclique qui nous happe; c'est comme regarder le cours des saisons en accéléré, au ralenti, en vision stroboscopique, c'est comme un cycle naturel dans tous ses états, et nous, les insectes pensants, nous écoutons ce cycle avec l'impression d'être dans notre élément. C'est chaud, c'est remuant, c'est étrange, c'est hypnotisant.
Dans la nuitée bleue, rien de tel que la guitare pour faire vibrer la vie au repos. J'ai mis un truc fascinant comme on n'en trouve que sur Internet. Jimi by Himself, des démos enregistrés dans l'intimité par Jimi Hendrix, en 1968, quelque part dans un hôtel de New York. Magnifiques versions acoustiques de 1983... (A Merman I Should Turn To Be), de Angel, des moments de blues, des impros tranquilles... Émouvant, quand même, d'entendre cette voix quarante ans plus tard (40!!!), cette vie fauchée. Jimi devait savoir quelque chose que tout le monde ignorait, lui qui s'enregistrait constamment, tout le long de sa météorite carrière...
Pour faire bonne mesure, j'ai mis aussi les premiers morceaux de Cry Of Love, l'album posthume, complété sûrement avec beaucoup de mélancolie et, disons-le, d'amour par Mitch Mitchell et Eddie Kramer, peu après la mort accidentelle et stupide de Hendrix. Ils ont plongé dans son travail des six mois précédent, ont complété certains trucs que désirait accomplir Jimi (les délicates percus sur le magnifique Driftin' par exemple). Sans atteindre les sommets des trois albums "officiels" du Jimi Hendrix Experience, Cry Of Love offre un aperçu intéressant de ce qui était en gestation dans l'esprit toujours en mouvement du guitariste. Certains morceaux (EZ Rider, Straight Ahead) sont tout à fait en phase avec la radio FM dont le son se dessinait à l'époque; deux blues dépouillés ponctuent l'album (My Friend, Belly Button Window); deux petits chefs d'oeuvre l'ouvrent (Freedom, Driftin'). Ce n'est pas du tout un pillage opportuniste, si vous ne connaissez pas cet album et que vous aimez Hendrix, vous vous devez de l'entendre. Il est vrai qu'il pourrait être difficile à trouver; il a été officiellement "avalé" par la compil' First Rays of the New Rising Sun maintenant.
Et pour rester dans la note bleue de la six-cordes, dans un registre plus mélanco, comme coda, sorte de chandelle sonore qui vous rend tout cire chaude, j'ai laissé les notes du Soul Lament de Kenny Burrell envahir la pièce dans l'obscurité. Kenny Burrell est un guitariste de jazz de la belle époque de Blue Note, et son disque Midnight Blue est paraît-il un de ses plus connus. La délicatesse du phrasé, la tonalité à la fois opaque et chaude, c'est de toute beauté. Si Soul Lament est mélanco à souhait et se livre en solo, le reste du disque est plus "hot" et hard: un Blue Note typique, de 1963, avec l'omni-présent Rudy van Gelder à la console, et Stanley Turrentine au sax (ténor? alto? Si c'est un ténor, il a le souffle drôlement agile), une section rythmique à trois. Mais c'est d'abord la guitare de Burrell qu'on entend, aussi distinctive qu'une voix humaine. Paraît-il que le remastering de RVG est l'une des réussites de sa série très contestée. En tout cas, la musique est belle, ne vous en privez pas.
Finalement, finissons sur un moment de grâce divine, parce que c'est beau la sueur, la souffrance, le sexe et tout ce qui nourrit le blues et ses variantes; mais de temps en temps, la beauté éthérée d'un grand morceau classique, ça nous rappelle qu'il y a paraît-il des parcelles de Dieu égarées dans notre ventre, et qui remontent jusqu'à notre cerveau. Vous connaissez des morceaux divins? Je voudrais vous en faire partager quelques-uns, mais pour l'heure (il est très tard), un seul...
C'est cet orchestrateur hallucinant au nom peu poétique de Maurice Ravel qui l'a commis: le 2e mouvement de son Concerto pour piano et orchestre. Un Adagio, évidemment. Ça commence par des notes de piano assez tristes, qui avancent doucement, délicatement, avec une sorte de grâce fatiguée,et finalement, on se dit: bon sang, que c'est triste cet air, ah la la, mais voilà que le piano part en vrille et se fond dans un tourbillon de flûtes, et hautbois et clarinettes, dans une spirale de cordes, et on reconnaît les orchestrations magiques de l'ami Ravel, et le piano se met à moduler dans cette espèce de paysage féérique, et avant d'y prendre garde, vous avez décollé, la musique vous a amené très très loin de vous-mêmes... 9 minutes absolument out-of-this-world...
C'est peut-être en la regardant jouer ce Concerto que Charles Dutoit est tombé amoureux de Martha Argerich. Pas moi qui va l'en blâmer!
Mais attention au réveil: le mouvement suivant n'a rien de doux!
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