mardi 19 mai 2009

Un GRAND classique: Beggar's Banquet des Rolling Stones


Début 1968, les Rolling Stones semblaient largués dans le monde en fusion du rock...

1967 avait été une année horrible, à tous points de vue: après le triomphe de Aftermath en 1966, les Stones semblent perdus: ils ont abandonné la scène, mais ça ne leur profite guère; trois de leurs membres font de la prison en 1967 (Jagger, Richards, Brian Jones) et le train psychédélique passe près de les larguer: Between The Buttons et Their Satanic Majesties Request déçoivent leurs fans et leur conversion psychédélique, tardive par rapport aux Beatles, a un petit parfum d'opportunisme. La santé de Brian Jones décline, leur flamboyant manager et producteur Andrew Long Oldham, aux prises lui-même avec des problèmes de drogue et négligeant ses ouailles pour faire le party en Californie, quitte le bateau.

Eux qui étaient les hérauts d'un rock un peu sale patiné de blues et de r&b sont dépassés sur leur gauche et leur droite par les nouveaux dieux du rock bruyant: Cream et Clapton sur leur gauche et leur puissant blues-rock, Jimi Hendrix sur leur droite avec son soul-rock psychédélique; et les Who au centre, les nouveaux mauvais garçons du rock anglais, sauvages, bêtes, méchants, avec leur fou furieux Keith Moon à la batterie.

Non, 1968 s'annonçait mal.


Ils ont répliqué avec le meilleur album de leur illustre carrière. Beggar's Banquet.




C'est peu dire que signaler que Jagger et Richards signent la fin de la récréation et reviennent aux sources. C'était déjà palpable à la sortie du single Jumpin' Jack Flash en mai... Les sources, pour eux, c'est un mélange bordélique et réussi d'un rock blanc crispé assez agressif et de l'animalerie blues et r&b. Avec ici et là des hommages bien sentis au folk et au country. Ça sent Chicago qui prend un bain dans le rock anglais, ça sent le sud américain porté par cet interprète fascinant qu'est Mick Jagger.

Exit la lutherie psychédélique. Guitare sèche de Richards à gauche, guitares électriques à droite, basse, batterie, piano, avec un Brian Jones très inspiré pour ajouter des touches uniques de slide, d'harmonica, de sitar, de mellotron. Et Jagger, un interprète unique, qu'on réduit un peu trop à sa caricature parfois, mais qui ici capte notre attention à chaque syllabe.

Dès les premières notes de la très célèbre Sympathy for the Devil, ça sent le grand cru, cette ronde sauvage qui, face aux Jesus-Freaks, proclame avec cynisme et arrogance sa différence. Les Stones quittent à jamais l'orbite des Beatles et ont trouvé leur son. Pas une pièce faible, une clarté d'exécution et une richesse sonore qui n'est pas coutume: je ne crois pas que les Stones ont jamais mieux sonné que sur Beggar's Banquet et Let It Bleed, merci à leur nouveau producteur Jimmy Miller. Magnifique ballade folk de No Expectations, rock bluesy un peu garage de Parachute Woman et Street Fighting Man (où la qualité sonore fout un peu le camp, voir note plus bas), l'excellent blues-country Jigsaw Puzzle que certains trouvent dylanesque (et où Brian Jones laisse une marque indélibile de sonorités bizarres au mellotron)... sans oublier la sauvage Stray Cat Blues, ma préférée, avec un Jagger plus jouissif que jamais qui chante le sexe sauvage. Sur Prodigal Son, Jagger, méconnaissable, semble émerger d'un champ de coton, avec son folk rugueux...

Parce qu'ils durent depuis si longtemps, parce que Jagger est un jet-setter et Richards un survivant de longues années de drogues, parce qu'on nous les assène année après année, on oublie parfois à quel point les Stones sont (étaient?) des stylistes parfaits du rock. Ils avaient tout: l'attitude rebelle, le talent, la capacité d'assimiler des influences et de les transformer, un grand sens mélodique, un respect des musiques passées en même temps qu'un appétit insatiable pour ce que le rock pouvait leur donner. Beggar's Banquet fut quant à moi leur sommet. Laissez tomber les Best Of, vous devez les entendre dans un véritable album au pacing presque parfait (avec juste Dear Doctor peut-être un peu prématuré).

Si vous voyez l'édition SACD chez les disquaires usagés, ne la loupez pas: non seulement ils se font rares (et leurs prix grimpent), mais au niveau sonore, c'est un triomphe, célébré pour de bonnes raisons. À part les deux titres mentionnés plus haut, les Stones sonnent ici comme jamais: un son puissant, plein, avec des guitares qui vous cisèlent les tympans, sur une base toujours réussie de piano, de basse, de batterie et de guitares acoustiques; un Jagger parfait, un Brian Jones à son crépuscule (il est mort peu après) et un groupe de chansons qui leur va comme un gant.

Un classique, un vrai, dans une des meilleurs années de l'histoire du rock.

Concernant la qualité sonore de Street Fighting Man et Parachute Woman, l'explication serait la suivante: Keith Richards avait pris l'habitude d'enregistrer ses parties de guitare dans une machine à cassettes franchement ordinaire, comme base des chansons. Dans certains cas, les Stones, sûrement pas des puristes audiophiles, couchaient simplement ces riffs de guitare dans le multi-pistes et ajoutaient les overdubs.

Autre anecdote de l'album: la sortie fut retardée pendant plus de trois mois, la compagnie de disques refusant le concept de la pochette: une toilette comme banquet des pauvres. Une pochette très punk, qui rend bien tout le cynisme de Jagger, lui qui chante avec ferveur la beauté des travailleurs paumés de la terre sur Salt of the Earth. Le label gagne, la pochette initiale ressemble à un carton d'invitation pour un banquet d'un hôtel chic et il faudra attendre les rééditions sur CD pour voir la vraie pochette de Beggar's Banquet.

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