Poetry and music are for those with straight connections between ears, eyes, heart, and gut. (Diane Dorr-Dorynek)
vendredi 21 septembre 2007
Gidon Kremer & la Chaconne de Bach
Je venais de passer une bonne heure en compagnie de Bach, sous les doigts de Glenn Gould. Une compilation française qui enchaîne les Inventions, Suites, Variations et extraits du Clavier Bien Tempéré, avant de culminer sur une magnifique Toccata (BWV 915, pour ceux qui ont la mémoire des chiffres)... Énergisé par Gould, avec l'envie de construire des cités sur des piliers d'une mathématique efficacité, je n'en avais pas assez; j'eus soudain soif de mettre un peu de lyrisme dans la musique du Maître de Chapelle allemand... d'échapper à la percussive logique percussive du pianiste torontois... je suis tombé sur les Partitas et Sonates pour Violon Seul, interprétées par Gidon Kremer, étiquette ECM.
http://audioatrium.com/w/images/3/3e/KremerGidonBachJohannSe3328775_f.jpg
Deuxième disque, seconde partita, 5e plage: l'apothéose du violon baroque: la Chaconne. C'est la Chaconne de Bach qui m'a amené à JS, un soir, dans la salle des Médias de l'université Concordia, dans la spirale enivrante des notes que j'ai senti le tourbillon de passions dissimulées par le Maître dans chaque page de ses exercices et oeuvres de fonction. La Chaconne de Bach, c'est un voyage dans ce que la musique a de plus viscéral: l'expression de l'expérience humaine, tumultueuse, émotive, mais animée d'une pulsion de vie, de construction. Intelligente, mathématique, et passionnée.
Gidon Kremer. Pas votre violoniste blafard en queue-de-pie qui déroule les notes avec une souffrance de tuberculeux; plutôt une sorte de démiurge, de tzigane échappé de sa caravane et qui habite les pièces avec un plaisir sensuel. Je ne sais pas ce que les traditionnalistes du classique en pensent. Mais on ne s'ennuie jamais, à écouter un disque de Gidon Kremer.
La piste commence. L'intro est grinçante comme une ballade tzigane, l'archet frotte rugueusement sur les cordes, et j'ai peur pour un moment que le romantisme caché derrière Bach soit exacerbé; mais Kremer recule de quelques pas, laisse les notes se réverbérer avec une douceur lumineuse, il se met à jouer des tempi, accélérant, décélérant sans cesse, et soudainement, c'est comme s'il prenait sa voix la plus lumineuse pour raconter une histoire infiniment complexe, et douloureuse, mais aussi belle et émouvante. Il n'arrache pas notre attention à coups d'archets saccadés, ni ne force la note mathématique: c'est avec l'art consommé du conteur qu'il garde notre attention, ne laissant jamais les notes orphelines de sens; je veux dire que les notes ne sont pas seulement un chapelet de notes, comme parfois avec Bach; elles sont plutôt comme les mots d'un poème, et Kremer chante le poème avec le naturel, le rythme de celui qui est sûr que l'histoire qu'il raconte est saprement belle, et qu'il n'a qu'à la laisser s'épanouir par sa voix.
Et puis, bien sûr, il y a l'enregistrement ECM. Qui est devenu mélomane dans les années '70 garde forcément un "soft spot" dans son coeur pour l'étiquette allemande, qui a donné à tant de grands musiciens sans grand "appeal" commercial la possibilité d'endisquer dans le respect de leur art et dans une acoustique magnifique. Keith Jarrett, Eberhard Weber, John Surman, Metheny, Abercrombie, Jan Garbarek et tant d'autres. ECM n'a cessé d'élargir ses horizons; les disques d'Arvo Part de la série New Series ont amené plus d'un mélomane à écouter pour la première fois de la musique contemporaine. Ce disque sonne donc, évidemment, très bien. À mon goût très personnel, peut-être la salle, où. semble-t-il, Kremer tient un festival, a-t-elle un peu trop de réverbation. J'aime sentir le coeur d'un instrument, je me sens par moments un peu loin du musicien. Spectateur poliment assis à la 10e rangée, alors que j'aimerais sentir l'archet me frôler la peau. Mais quand Kremer laisse glisser une note et que l'acoustique de la pièce charge de miroitements acoustiques l'écair sonore... ah! c'est très beau.
Les Trois Partias et les trois Sonates sont toutes magnifiques: dansantes, chargées émotivement, et animées de cette pulsation qui rend si puissante la musique de Bach. Pas une seule note d'ennui. Nul doute que le reste du disque est à la hauteur de la Chaconne. Fermez les lumières. Chauffez les tubes. Partez.
Gidon Kremer.
Johann Sebastian Bach. The Sonatas and Partitas for Violin Solo.
2 CDs. ECM New Series 1926 Enregistré en 2002.
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