lundi 15 octobre 2007

THELENIOUS MONK QUARTET with JOHN COLTRANE


L'histoire commence en octobre 1956. Le quintette de Miles Davis est à son sommet, les quatre enregistrements Prestige qui vont assurer leur perrénité dans le panthéon jazz (Workin', Steamin', Relaxin' Workin' with the Miles Davis Quintet) sont enregistrés... Mais malgré l'équilibre exemplaire musical de la formation, tout ne va pas pour le mieux à l'interne: le bouillant saxophoniste ténor, si contesté par certains, mais défendu par Miles, John Coltrane, est un drogué.

Un soir d'octobre, après un concert, Miles frappe son jeune protégé; le pianiste iconoclaste et grand-prêtre du bebop, Thelenious Monk assiste à la scène et s'offusque; il offre immédiatement un emploi à Trane. Ce ne fut pas pour tout de suite. Mais ce serait pour bientôt.

Peu après, Davis dissous son quintette; Coltrane rentre chez lui, il chasse ses démons à la manière la plus difficile (cold turkey) et se lance dans une débauche de répétitions, un workaholisme forcené, qu'il accompagne d'un spiritualisme retrouvé.

En avril, il rejoint Thelenious Monk. Et apprend peu à peu, dans son appartement, le répertoire étrange, irrésistible, du plus excentrique compositeur de thèmes des fifties.

Monk. Le nom est étrange; la musique est irrésisitible. Mais elle avance bizarrement, à coups de sauts de puce; en cassant les dégradés tonaux; diffractant la tonalité; si le terme cubisme évoque quelque chose en jazz, ça pourrait référer à Monk. Si loin du blues chaleureux, incandescent, qui sous-tend la musique de Coltrane, et tout le mouvement du hard-bop auquel on l'associe.

Monk est angulaire, il avance selon une logique oblique, la sienne; il est au jazz ce que les Talking Heads sont au rock; une sorte de manière d'avancer de côté, la gueule souriante et avec une sorte d'intelligence d'enfant et un swing d'enfer. Il faut l'entendre jouer du piano: ces espèces d'anti-solos brusques et déréglés.

Si Miles et Trane sont la glace et le feu, Sphere Monk serait un cube de glace fondant dans un alcool raffiné, et qui tangue à la surface.

Coltrane vit donc sa renaissance, en 1957, nouvellement libéré du joug de l'héro, ayant redécouvert Dieu et un partenaire moins rigide, plus généreux en la personne de Sphere Monk. Et un soir de 1957, le thelenious monk quartet, avec John Coltrane à l'avant-plan, se produit au Canergie Hall.

C'est cet enregistrement qui a été redécouvert par miracle dans les voûtes de la Librairie du Congrès il y a deux ou trois ans, et qui a été réédité par Blue Note, remportant tous les polls de rééditions de l'année.

It's a gas, comme disent les Anglos. En six mois, Coltrane a assimilé la musique de Monk et peut maintenant la porter avec sa puissance de souffle si caractéristique; c'est encore un Trane première manière, celui qui fait des sheets of sounds comme disait un certain critique; des trombes d'arpèges qui coulent autour de la tonalité, en en épuisant toutes les possibilités, mais sans jamais perdre le thème de vue, mais sans jamais en être l'esclave; et dans le cas de Monk, on sait ce que valent ces thèmes: surprenants, et inoubliables à la fois. Seul cuivre, il porte le poids de l'expression mélodique.

Derrière lui, Monk est le même pianiste que d'habitude: saccadé, traçant sa ligne dans des silences soudainement heurtés par un accord plaqué. Moi je le trouve fatigant comme pianiste, Monk. Mais Dieu que sa musique est allumante. Et avec Trane en avant, qui la triture, il y a de quoi balancer de la tête. Et puis, il y a ce drummer, Shadow Wilson, pas sûr qu'il ait survécu à son époque, mais enfin il mène le train avec fougue et il est bien enregistré.

Deux sets, neuf pièces, un témoignage d'époque. Miles Davis va vite récupérer le prodige et ensemble ils enregistreront bientôt l'ultime chef d'oeuvre des fifties, Kind Of Blue. En attendant, Trane aura eu une liaison courte et intense avec un être étrange. Thelenious Monk.

Thelenious Monk Quartet with John Coltrane at Canergie Hall.

Blue Note. 2005. 0946 3 35173 2 5

Aucun commentaire:

Publier un commentaire