Pour ces premières vraies nuits d'automne, en rotation sérieuse...
Radiohead. In Rainbows.
La planète audiophile s'est donné rendez-vous aux petites heures de la nuit sur le site Web de Radiohead, pour le lancement Internet le plus attendu de l'histoire: In Rainbows vient de naître.. Au-delà de l'approche "pay what you want" et de la déception généralisée lorsqu'on a réalisé que les MP3 distribués sur le site ne pesaient que 160 kb/s, le lancement d'un album de Radiohead demeure une affaire sérieuse pour tous les amateurs de rock. Surtout après 4 ans d'attente.
10 pièces, tout juste 42 minutes: on se croirait revenu au temps du vinyle. Radiohead a vieilli et a maturé. Une sorte de majesté sereine a succédé à l'angoisse paranoïaque distillée à plein volume dans Hail To The Thief, leur précédent opus. 10 vraies chansons, pourrait-on ajouter, 10 performances du band dans son ensemble; pas de bidouillage électronique, de sculpture sonore abstraite, d'explorations auditives binaires. C'est l'album le plus immédiatement engageant, au niveau mélodique, du groupe depuis leur second, celui qui les a révélé à la planète rock, The Bends.
Comme le mentionnait un internaute du forum de Steve Hoffman, c'est comme si le groupe recommettait The bends, mais avec la palette sonore étendue par l'expérience des 4 derniers albums, 4 chefs d'oeuvres quant à moi.
La voix de Thom Yorke demeure émouvante de cette espèce de vulnérabilité d'ado halluciné; mais plus que jamais il en contrôle la musicalité.
Seule déception: pour la première fois depuis OK Computer, le groupe ne défriche aucun monde nouveau; explorant des planètes familières, le dernier Radiohead plaît immédiatement, ce qui n'est pas nécessairement leur norme. Le disque se fichera-t-il aussi profondément dans la peau que les autres? Aura-t-on envie de commander le package de luxe (2 CDs, 2 vinyles, 1 booklet) en décembre, après l'avoir écouté en boucle pendant six semaines?
The Doors - The Doors (1967)
1967 fut une année-charnière dans l'histoire du rock, dans l'histoire de la contre-culture, dans l'histoire de la jeunesse contemporaine. Une année qui a vu les Beatles produire deux albums-kaléidoscopes qui ont changé notre conception de l'album, comme entité artistique (Sgt Peppers, Magical Mystery Tour); qui a vu l'entrée en scène, avec deux albums lui aussi, d'un alchimiste de la 6-cordes qui entamait un spectaculaire et trop bref parcours, Jimi Hendrix.
Cream atteignait son sommet avec Disraeli Gears, Pink Floyd se lançait en orbite, encore illuminé par le génie psychédélique de Syd Barrett; le Velvet Underground lançait sa banane à la figure du art-rock. Non, vraiment, 1967 fut une année comme le rock n'en a plus jamais connu. Une véritable révolution.
Et puis, il y eut l'apparition d'un autre météore: Jim Morrison et les Doors ouvraient les portes de la perception, à grand renforts de LSD, de mysticisme primitif, de références à la spiritualité indienne. Des textes qui sentaient le sable, le désert nu et brûlant, l'alcool et la douleur de vivre, le sexe et la mort; une voix chaude de ténor qui vous hypnotisait, sur les arabesques dessinées par Manzarek aux claviers. Les Doors avaient un son inoubliable, une naïveté décadente et une pulsation de mort qui évoquent Rimbaud, mais un Rimbaud marchant d'un pas dansant et halluciné sur les traces du rock et du blues le plus graveleux.
J'ai vu pour la première fois la semaine dernière le film The Doors de Oliver Stone, avec Van Kilmer qui, avec panache, resssuscite le roi-lézard dans toute sa fougue délinquante. Difficile de ne pas ressentir d'empathie pour ce gosse pourri de talent, arrogant à l'exême, qui ne cherche qu'à en finir avec la vie, mais le fait avec un tel art de la bacchanale, un tel panache, que l'on ne peut que le suivre, qu'admirer, même en sachant de quelle désolante façon l'épopée de Morrison va finir.
The Doors, le premier album, version DCC (pour plus de chaleur analogique) ou version remasterée 1999 (pour plus de verdeur) n'a rien perdu de son pouvoir incantatoire. Chaque pièce déballant son théâtre noir, avec détours par la comédie musicale bauhaus (formidable version du classique de Kurt Weill, Alabama Song) et le blues (Back Door Man) jusqu'à l'explosion violente de The End ("We want the world and we want it now!"), qui depuis Apocalypse Now de Coppola représente mieux qu'aucune autre pièce l'autre versant du rêve hippie: le désespoir d'une génération ayant enclanché son processus d'auto-destruction.
La sortie de Strange Days, à peine 9 mois plus tard, et à peine moins mémorable, confirmait que l'année 1967 n'appartenait pas qu'aux Beatles et à Hendrix. Les Doors venaient de graver leur nom dans la pierre (tombale) du mouvement hippie.
(À noter qu'une version remixée et multi-channel, et corrigeant une historique erreur de vitesse de déroulement de bande est sortie cette année, dans le coffret Perception, oeuvre de l'ingénieur de son d'origine, Bruce Botnick. Très curieux d'entendre cet album glauque et incantatoire en vitesse accélérée! Et la version mono sera rééditée en vinyle d'ici la fin de l'année 2007)
Sonny Rollins. Saxophone Colossus. 1956.
Prestige (OJC), mastering de 1988. OJCCD-291.
Depuis que j'ai lu quelque part que la série de CD Prestige OJC (Original Jazz Classics) des années '80 valaient leur pesant d'or au point de vue sonore, je les traque chez les disquaires usagés; j'ai renoncé à remplacer mes anciennes éditions par des versions remasterées, parfois SACD et ne m'en porte que mieux.
L'attrait des nouveautés technologiques peut être trompeur. Mon SACD asiatique de Waltz for Debby (Bill Evans) a beau donner une plus belle présence à la contrebasse de Scott LaFaro et étendre la plage de fréquences, le piano d'Evans n'a pas le punch, le mordant, la vivacité caractéristique de mon vieux OJC, que je pensais vendre, et auquel je suis plus attaché que jamais. Je ressors mes vieux Chet, Sonny Rollins, Bill Evans et autres poussiéreux albums mal séquencés et redécouvre leur indéniable punch, révélé par mon nouvel ampli à tubes Atma-Sphere, qui s'impose de plus en plus comme le plus beau cadeau d'audiophile que je me suis jamais fait (merci André, où que tu soies, je bois à ta santé et m'enivre de sons grâce à toi).
Bref, aujourd'hui, traînant dans les merveilleux rayons de jazz de la Bouquinerie, rue Mont-Royal, je tombe sur un disque que j'ai eu en vinyle, mais que je n'ai jamais pu apprécier à sa juste portée, et qui justement porte le label OJC dans ce pressing de 1987: Saxophone Collosus, de Sonny Rollins, l'album qui a imposé en 1956 le jeune ténor comme l'incarnation virile du bop, comme Coleman Hawkins avait été celle du swing, vingt ans auparavant. De retour à la maison, je le met immédiatement dans la platine. Et ça part...
Le son. le son, les amis. Le saxo de Rollins qui gicle des torrents de swing viril au micro, comme si on y était. Un son mono, avec tout ce que ça peut supposer de punch, de dynamique, de focus. Avec de brusques irruptions des peaux martelées par Max Roach, dont le style se marie si bien à celui de Rollins. Dur de décrire le son de Rollins: un son dur, ouvert, incisif, bon, oui, viril, mais aérien, genre joueur de rue sur-dynamité, mais avec quelque chose aussi de l'élégance racée de Lester Young. On est à mille lieux des transes spirituelles de Coltrane, le ténor de demain, qui va bientôt attirer sur lui toute l'attention. Pour l'heure, c'est Rollins le jeune maître, et ce disque est de la dynamite, de l'art tout en puissance. Et au soutien harmonique, comme en contre-point stylistique, le style élégant, raffiné, de Tommy Flanagon au piano, un homme qui découpe le temps au ciseau, ayant l'élégance de ne jamais se presser, et qui réussit à swinger en même temps.
5 pièces qu'on écoute très très fort.
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