samedi 3 juillet 2010

COLLISION FRONTALE ENTRE LOU REED ET MONTRÉAL CE SOIR!

C'était certainement un des spectacles les plus intrigants du Festival de Jazz cette année. Mais en m'installant dans la salle remplie de la salle Wilfrid-Pelletier à 19h30, j'étais loin de me douter que le concert serait terminé, sous les huées, 75 minutes plus tard, laissant un Lou Reed ravagé quitter la salle d'un pas incertain, quelques pas derrière une Laurie Anderson visiblement furax et un John Zorn écartelé entre les deux conjoints.

Quelle étrange réunion entre trois des fers de lance de la scène musicale new-yorkaise, dans sa diversité infinie de mouvances. Un rocker-songwriter increvable qui aura traversé les années de débauche et d'errances pour arriver intact dans la soixantaine, la performer la plus célèbre de l'histoire et le saxo le plus azimuté du jazz actuel, réunis pour un concert de musique improvisée qui aurait certainement eu plus de chance de rencontrer son public au Festival de Musique Actuelle de Victo.
Pourtant, quant à moi, la soirée avait assez bien commencé. C'est Lou Reed qui part le bal, et il installe d'emblée une ambiance de noise-rock assez lourde, qui a dû rappeler à ses vieux fans de durs souvenirs: ses Metal Machine Music..  Et c'est sur ce drone plus près de Fripp ou d'un Michael Brooke atteint d'accès de violence que le saxo de Zorn peut commencer à souffler, couiner, crier, hurler et le violon de Laurie Anderson de construire ses architectures sonores...

Ce qu'il y a de magnifique en musique improvisée, c'est de voir à quel point les personnalités peuvent s'exprimer et se compléter, sans censure. Reed s'impose par sa violence, la rage intérieure des ambiances qu'il crée: son barrage sonore est une armure ou une toile de fond, un sfumato dense, lourd, plombé... de l'autre côté de la scène, Laurie Anderson (que j'avais vue en 1984 au Spectrum, et dont j'avais complètement oublié le jeu de violon) semble constamment trouver, au coeur de la tempête, une architecture naissante, une cohérence, un rythme, que son violon vient souligmer; quant à John Zorn, au centre, pied sur une chaise, alto en bouche, c'est le lyrique, le volubile, l'emporté, l'animé. Les trois semblent se compléter parfaitement, et je peux dire que, sincèrement, je goûte chaque seconde.

Mais c'est loin d'être le cas de tous. Et je soupçonne le public de Lou Reed, en premier lieu, d'assez peu goûter ces architectures sonores décousues. Dès la fin d'une première impro, peut-être 12 minutes, les huées fusent (et moi qui croit naïvement que ce sont des Lou, pas des Bouh!) et les rangs s'éclaircissent. Et ça repart: piqué dans son orgueil, peut-être blessé, le vieux Lou, qui a survécu à l'héroïne, à Andy Warhol et à quatre décennies new-yorkaises, ce qui n'est pas rien, en remet une couche, pendant que Zorn couine comme jamais. Plus agressif, strident, dissonant, le trio remet ça avec une sorte de ferveur noire, et cette fois, une partie du public devient nettement plus sonore. Une bagarre passe à un cheveu d'éclater derrière moi. Un spectateur crie: It's A Disgrace! Un autre: Play Some Music. Zorn répond: If you don't think this is music, then get the f*** out of here.. Les gens se lèvent par dizaines et quittent. La soirée prend une mauvaise tournure.

La suite est à l'avenant. Reed, qui tourne de plus en plus le dos au public, essaie de diriger du geste sa douce, et semble lui inspirer un solo  tout à fait poétique (voir clip plus bas), mais il a dû se passer quelque chose entre eux, car après un morceau ma fois assez réussi, Reed se lève, visiblement harassé, fait mine de griffer Laurie, Zorn embrasse l'un, embrasse l'autre, mais n'arrive visiblement pas à les ramener sur la même longueur d'onde et le trio quitte en désordre, devant un public de plus en plus clairsemé et clairement abasourdi.

Ils viendront le temps d'un rappel; mais visiblement, le coeur de Lou Reed n'y est plus; il tombe dans la redite, le trio se rend difficilement au bout de ses idées, la soirée finit d'avorter et mes voisins me regardent, alors que les lumières se rallument: Is it over? Already???

La scène a quelque chose de cruelle. Au début du show, je ne pouvais manquer de m'émerveiller de la durabilité de Lou Reed: qui, à l'écoute de Heroin, en 1967, aurait pu se douter que ce junkie se rendrait à 68 ans, et continuerait de faire de la musique, et de la musique signifiante, 40 ans plus tard? Mais ce soir, ce "survivor", ce dur à cuire n'a pu vaincre une minorité bruyante et mal renseignée et est tombé dans le ring.



[AJOUT] Ouf... Patrick Gauthier ne les a pas ratés sur le site ruefrontenac. Mais il avoue être un fan du Lou Reed de Transformer. Peut-être ceci explique cela. Multipliez par peut-être 300 ou 400 spectateurs qui ont réagi de la même manière.

Parmi les fils de discussions les plus intéressants sur le sujet: http://www.stevehoffman.tv/forums/showthread.php?t=221093

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