Il était une fois le bootleg le plus célèbre de l'histoire du rock.
Il était une fois Robert Zimmerman, alias Bob Dylan, Jésus-Christ juif du mouvement folk, "protest signer" acclamé dès son arrivée sur la scène, successeur auto-proclamé (et surdoué) de Woody Guthrie, qui, bourré aux amphétamines et éclatant sous la camisole de force des bien-pensants de la gauche musicale, décide de briser ses chaînes et de se "plogguer". Il engage un groupe canadien de rock pesant, les Hawks (avec à leur tête l'Amérindien Robbie Robertson) et part en tournée agresser ses adorateurs à coup de décibels électrifiés.
Et ça bardait.
Parce que les adorateurs, reconnaissant dans les guitares électriques la marque d'un AntéChrist musical, n'allaient pas le laisser s'en tirer comme ça.
Cohue, huées, objets lancés, une tournée aux allures de guerre de tranchées.
Lorsque Dylan débarque à Manchester le 17 mai 1966, il commence son spectacle par un "set" acoustique, seul, guitare et harmonica.
Et la différence de ton avec les enregistrements publics de deux ans (The Bootleg Series Vol. 6 Bob Dylan Live 1964, Concert At Philharmonic Hall) plus tôt est sidérante. Même dans le set acoustique. Lui qui était joyeux, sarcastique et moqueur en 1964, est maintenant recueilli, sombre, intense, Dylan nous donne 40 minutes de musique confessionnelle qui présagent les Neil Young et Nick Drake de ce monde de quelques années. Son interprétation de "Desolation Row" donne des frissons, son "Just Like A Woman" est d'une douceur inhabituelle chez lui, lui, le désinvolte suprême.
Mais lorsqu'il clôt cette première partie avec Mr Tambourine Man, on le sent qui mord dans les mots avec dédain, moquerie. Comme s'il regardait ses admirateurs folk dans les yeux et leur jetait quelque chose qui ressemble bien à du mépris.
Juste pour cette première partie, l'édition officielle de ce bootleg vaudrait son prix.
Il me reste à écouter ce qui a suivi, le deuxième disque, le "set" électrique. Lui qui dit Just Play Fuckin' Loud aux Hawks (qui deviendront The Band bientôt). Et un illuminé dans la foule qui rendra ce show immortel lorsqu'il lui hurlera: JUDAS. Un set que certains considèrent comme le meilleur document "live" jamais enregistré dans l'histoire du rock.
Judas n'était qu'un homme qui ne voulait pas être Jésus Christ.
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